Le collier rouge - Jean-Christophe Rufin
Trop court, M. Rufin ! 150 pages trop vite lues, à peine le temps d'apprécier, de déguster. En principe avec vous, on en prend pour 400 ou 500 pages, embarqués dans des récits au long cours, transportés dans le temps, explorant les époques auprès de personnages hauts en couleurs, Égypte, Abyssinie, Amérique du Sud, le monde de Globalia ou celui de Jacques Cœur ou même les chemins de Compostelle sur vos traces. De vous, j'ai tout aimé, sauf votre recueil de nouvelles "Sept histoires qui reviennent de loin"... Alors ce court récit m'a d'abord inquiétée, moi qui vous préférais dans des livraisons plus dodues.
Oui, c'est trop court, mais c'est suffisamment dense pour nourrir le lecteur même sur une courte période. On ne reste pas sur sa faim, on en redemande, c'est tout. Cette histoire d'une belle simplicité offre une riche matière à réflexion. Bien sûr il y a cette énigme : qui est le soldat emprisonné quelques mois après l'armistice de 1918, pourtant décoré en héros ? Qui est le chien qui hurle à la mort devant la prison ? Quel rôle joue cette Valentine, qui attend, au milieu de ses champs et de ses livres ? Le juge militaire qui arrive pour délivrer une sentence devra démêler les écheveaux de ces lignes de vie entrelacées. De la guerre, il est évidemment question mais ce n'est pas le sujet principal même si elle constitue le contexte et le nœud de l'intrigue. Sans cette mobilisation forcée, Jacques Morlac n'aurait pas été obligé de quitter sa ferme du Berry, désespéré à l'idée de laisser les femmes seules avec cette lourde charge. Sans cette guerre, le chien n'aurait jamais eu l'idée de le suivre jusqu'au front, jusqu'à Salonique. Sans le spectacle de la guerre, Jacques Morlac, le paysan sans éducation, n'aurait jamais eu l'idée de chercher dans les livres des réponses aux situations incompréhensibles dont il était le témoin, histoire de donner un sens à tout ça. Sans la guerre, il n'aurait pas dû quitter Valentine.
Le chien est la clé de l'histoire mais il serait dommage d'en dire plus au risque de gâcher le plaisir de lecture (si bref, au risque de me répéter...). Ce livre parle de fidélité et de loyauté, cette fidélité dont sont capables les bêtes, quoi qu'il arrive parce que justement, elles sont dépourvues d'humanité. Il parle aussi d'engagement, de responsabilités à assumer. Du fait de se battre pour ses idées et des moyens de le faire. Enfin, c'est une jolie déclaration d'amour à la littérature, aux auteurs qui font avancer le monde et mettent sa compréhension à portée de chacun. Grâce au personnage de Valentine, nourrie par l'engagement politique de son père et par les volumes de sa bibliothèque qui nourriront à leur tour Jacques Morlac, lui donnant les clés de décryptage du monde qui l'entoure. Et cette phrase qu'il prononce pendant son interrogatoire par le juge : "Vous savez, au départ, je ne pensais pas avoir à utiliser un jour les livres que j'avais lus".
Bravo, M. Rufin mais, s'il vous plaît, la prochaine fois, vous pourriez le faire un peu plus long ?
"Le collier rouge" - Jean-Christophe Rufin - Gallimard - 155 pages