Ethan Frome - Edith Wharton
J'ai bien fait de le relire. Edith Wharton occupe presque une étagère entière dans ma bibliothèque, des romans et des nouvelles dévorés il y a une bonne vingtaine d'années et qui finissent par se confondre un peu dans ma mémoire. A l'annonce de la parution d'une nouvelle traduction, j'ai attrapé mon vieil exemplaire (Mercure de France, 200 p. et 96 FF à l'époque) et me suis replongée dans ce qu'il faut bien qualifier de chef d’œuvre. A vingt ans, je l'avais vite lu, apprécié et rangé. Ces dernières heures, je me suis délectée de ce court récit à l'intensité dramatique rarement atteinte.
L'histoire d'Ethan Frome est recueillie par le narrateur, envoyé par son entreprise dans une petite ville des montagnes du Massachusetts. Intrigué par cet homme boiteux, défiguré, blessé et surtout par l'expression de désespoir qu'il a captée sur son visage, il cherche à en savoir plus mais se heurte au mutisme de ses voisins visiblement peu désireux de raviver leurs souvenirs. Jusqu'à ce que Ethan Frome lui même lui ouvre les portes de sa ferme et de sa mémoire. L'histoire d'Ethan Frome est celle du désespoir à l'état pur ; celle d'un jeune homme féru de sciences et de voyages, qui se destinait à embrasser une carrière d'ingénieur mais que les dures réalités de la vie ont ramené à la ferme familiale pour l'y clouer définitivement. Bon fils, Ethan a fait une croix sur ses ambitions sociales pour soigner ses parents, tour à tour. Marié pour conjurer sa solitude pesante, il fera également une croix sur les projets qu'il avait élaborés pour lui et pour son couple face à la santé fragile de sa femme Zeena qui lui interdit toute "transplantation" dans un autre lieu. "Vous avez eu une vie de misères terribles, Ethan Frome" lui dit Mrs Hale, la femme de l'un de ses clients, une des rares à lui témoigner un peu de compassion. Lorsque survient Mattie, une cousine de sa femme, dont le dénuement offre l'opportunité à Zeena de la recueillir pour en faire son aide ménagère, c'est la vie qui entre dans le foyer d'Ethan.
Edith Wharton trouve les mots justes pour décrire les sentiments contraires qui agitent le jeune homme, tiraillé entre son devoir, son dévouement naturel et l'appel de son cœur, la découverte de sensations encore inconnues de lui. Petit à petit, l'auteur fait monter la tension. Ethan est coincé, quelle que soit la direction vers laquelle il regarde, tout le ramène à son enfermement. Pourtant, il a entrevu le bonheur, l'a même goûté pendant de courts instants... Comment pourrait-il se résoudre à y renoncer définitivement ?
"Il ne savait d'où lui venait ce déraisonnable bonheur, car rien n'avait changé dans sa vie ni dans celle de Mattie. Il ne lui avait pas même touché le bout des doigts, il ne l'avait pas même regardée en plein dans les yeux. Mais leur soirée ensemble lui avait laissé entrevoir ce que vivre à son côté pourrait être, et il se félicita de n'avoir rien fait pour troubler la douceur du tableau. Il avait idée qu'elle savait ce qui l'avait retenu..."
Il y a vraiment tout dans ces 200 pages, tous les ingrédients d'un petit bijou. C'est beau, c'est sobre, c'est parfait, tout en nuances. Oui,décidément, j'ai bien fait de le relire.
"Ethan Frome" - Edith Wharton - P.O.L - 208 pages