Ce sont des choses qui arrivent - Pauline Dreyfus
Dès les premières pages, l'ironie mordante de quelques phrases bien senties vous conforte dans l'idée que vous allez passer un sacré bon moment. Certes cela commence par un enterrement, mais sa description est si savoureuse qu'elle donne le ton de ce qui va suivre. Nous sommes en 1945 et c'est la duchesse Natalie de Sorrente que l'on enterre, en présence du "tout Paris". En revenant sur les dernières années de sa courte vie, Pauline Dreyfus nous invite à observer les années de guerre et d'occupation de façon plutôt inédite et généralement peu mise en avant. Car dans les rangs de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie, on n'a pas tout à fait vécu les mêmes choses...
Ici, la guerre est surtout vue comme un dérangement. "La guerre, pour les Sorrente, ce sont d'abord des complications domestiques". Obligé de se transporter en zone libre, dans le sud de la France, on s'ennuie faute de mondanités suffisantes, on regrette son tailleur, son coiffeur bref, tout ce qui faisait le sel de la vie. Seul Jérôme, le mari de Natalie goûte réellement cette étape qui ôte à sa femme si séduisante le trop plein de tentations du tourbillon parisien. Ce qui ne l'empêche pas de tomber enceinte malgré l'inexistence de rapprochement avec son mari. "Ce sont des choses qui arrivent". C'est ce qui se dit dans ces cas là, inutile d'en faire un drame ou de l'étaler en place publique. C'est ce qui se dit à chaque fois que l'on ne souhaite pas s'étendre sur un sujet ou approfondir. Comme ces juifs que l'on arrête. Surtout éviter les sujets qui fâchent. S'en tenir à la légèreté, à la frivolité qui seules permettent d'éviter l'ennui. Le mari accueille donc son héritier de façon toute naturelle, après tout, il doit bien cela à une femme qui garantit le train de vie et l'éclat d'un blason qui avait grand besoin d'être redoré. Mais Natalie n'est pas au bout de ses surprises. A la mort de sa mère, une femme richissime et très courtisée, elle est soudain mise au courant d'un secret entourant ses origines, qu'elle semble être la dernière à ignorer encore. Suffisant pour bouleverser son univers et la plonger dans les affres du questionnement. Car comment garder ses repères si ce que l'on croyait être, les bases sur lesquelles on a construit sa personnalité et sa vie ne sont qu'illusion ?
Pauline Dreyfus frappe fort et juste. Sa reconstitution de l'époque est criante de vérité, assurément très bien documentée. On croise au fil des pages tout ce qui compte dans le monde des arts, des lettres et des affaires. Ce qu'elle nous montre, c'est la vie mondaine sous l'occupation, les premières au théâtre, les dîners chez Maxim's et ces grands bals que l'on donne malgré tout, parce qu'il faut bien se distraire. La collaboration ? Mieux vaut ça que les bolchéviques ! Voilà ce qui guide l'attitude de ce petit monde. On parlera par la suite de "collaboration mondaine".
"Ce sont des choses qui arrivent" est encore en lice pour le Goncourt, dans les huit et c'est assurément mérité, autant pour l'audace du sujet que pour l'écriture, nette, précise, acérée. Un régal.
"Ce sont des choses qui arrivent" - Pauline Dreyfus - Grasset - 229 pages