L'audience - Oriane Jeancourt Galignani
Parce qu'elle a eu des rapports sexuels avec quatre de ses élèves, une jeune professeure, Déborah Aunus se retrouve sur le banc des accusés, face à un jury chargé de juger ses actes. Mais quels actes ? Les étudiants étaient tous majeurs et consentants. Mais voilà, nous sommes au Texas, seul état où ce type de comportement est passible d'emprisonnement.
A partir de ce fait divers qui s'est réellement déroulé aux Etats Unis en 2003, Oriane Jeancourt Galignani bâtit un roman âpre et cru qui n'épargne pas la société ultra puritaine de ces petites villes de l'Amérique profonde. Jusqu'à ce jour, Déborah est plutôt respectée en tant que mère de trois enfants, mariée à un soldat qui combat en Afghanistan, professeur de mathématiques. Déborah est une jeune femme qui cache des fêlures remontant à l'enfance et des désirs de fuite jamais totalement assouvis. Est-ce une raison pour voir son intimité étalée sur la place publique et faire l'ouverture des journaux télévisés ? Quoi qu'il en soit, lorsque la rumeur enfle, alimentée par la mise en ligne d'une vidéo sur les réseaux sociaux, c'est la curée.
Le roman est construit autour des quatre jours du procès de Déborah et s'attache à faire le point sur les sentiments et les motivations qui agitent les différents protagonistes. Procureure en quête de médiatisation, juge faible et aveuglé par ses sentiments, mari qui se réfugie dans la dévotion et dont on ne sait s'il se sent plus coupable que honteux, jurés désireux de garantir les bonnes mœurs de la société. Seule Déborah ne dit pas un mot, étonnée d'être là, spectatrice de son propre procès, même si son silence est perçu comme une preuve d'arrogance. L'auteur la peint en femme libre avant tout. Une femme qui aime le sexe et s'y réfugie, s'offrant ainsi des moments de total oubli. Lorsqu'elle était adolescente, c'était les mathématiques qui lui offraient l'évasion dont elle avait besoin. Que s'est-il passé pour qu'elle ait soudain besoin d'autres hommes que son mari et qu'elle se tourne vers ses élèves ? Sûrement faut il chercher les réponses dans les manques affectifs et les espoirs déçus... La figure du frère, envolé un beau matin... Mais la romancière ne fait que suggérer et laisse à chacun la possibilité de ressentir les choses à sa manière. Avec néanmoins un traitement assez croustillant du personnage de la mère de Déborah... Une mère que l'on ne souhaite vraiment à personne.
En livrant ce roman, c'est un peu comme si l'auteur avait voulu rendre justice à Déborah en réparant les effets de ce qu'elle perçoit comme une terrible injustice, ce déballage incroyable auquel elle a été forcée. Sous sa plume, les charges qui pèsent sur les spectateurs, les jurés, la procureure, le juge et même la famille de Déborah sont bien plus accablantes que celles auxquelles la jeune femme a dû répondre. A commencer par cette femme sénateur à l'origine de la loi qui définit comme un crime tout rapport sexuel entre un élève et son professeur, persuadée que jamais cette loi ne sera suivie à la lettre et qu'elle n'enverra jamais personne en prison...
Je me suis laissé captiver par cette plongée dans l'Amérique profonde, prise par l'écriture sèche de l'auteur qui semble restituer les pensées les plus sombres tapies dans les crânes de l'entourage de Déborah. Récit implacable, traitement sobre et juste. Voilà qui est fait avec beaucoup de talent.
"L'audience" - Oriane Jeancourt Galignani - Albin Michel - 297 pages