Il bouge encore - Jennifer Murzeau
C'est le roman de l'impossible quête de sens dans notre société contemporaine et je défie n'importe quel lecteur âgé de 30 à 50 ans, urbain, cadre dans une société de service de ne pas s'identifier ne serait-ce qu'un peu aux personnages et à leur course effrénée. Mais vers quoi ? Vers quel but ?
Antoine et Mélanie ont toutes les apparences du bonheur. Trentenaires tous les deux, deux bons jobs en tant que Directeur des Ventes pour Antoine, Consultante dans un grand cabinet international pour Mélanie, récents propriétaires d'un joli deux pièces dans le quinzième arrondissement. Deux CDI... c'est le moment de devenir parents pense Mélanie et de cocher ainsi une nouvelle case dans leur parcours parfait affiché à la face du monde, c'est à dire de leur petit groupe de relations et d'amis parmi lesquels on s'observe et on s'évalue au fil des dîners hebdomadaires.
Alors quand Antoine est subitement et brutalement licencié - la crise, désolé mais on ne peut pas faire autrement, ton poste est supprimé - l'édifice si patiemment construit se trouve brusquement déséquilibré et en grand danger d'effondrement. A partir de là, l'auteur s'attache à décortiquer ce qui conduit au désastre : les non dits, les mensonges, les contraintes sociales, les blessures d'enfance... Obsédés par leur travail, englués dans leurs obligations professionnelles, Mélanie et Antoine ne se sont même pas aperçus des différences qui se creusaient entre eux. Le licenciement d'Antoine agit comme un révélateur, un coup de tonnerre. Parce que tout à coup, il a le temps de penser, de réfléchir. De regarder autour de lui et de se rendre compte du vide. La réalité lui saute aux yeux alors qu'il observe Mélanie tenter de se débattre avec la situation qui contrarie ses projets ou ses amis éviter de parler des sujets qui fâchent. Tout le monde a peur de la contagion. Tout le monde veut rester dans le rythme, faire partie de cette course qui ne s'arrête jamais... Par peur du vide ?
C'est justement en se confrontant au vide qu'Antoine tente de se reconstruire en souhaitant laisser derrière lui les erreurs du passé. Il lui faut réapprendre à vivre et à savourer. Et Mélanie, empêtrée dans son schéma de réussite sociale ne lui est d'aucune aide, surtout attachée à sauver les apparences, atterrée à l'idée d'avoir à tout recommencer avec quelqu'un d'autre qu'Antoine qui visiblement ne peut plus jouer le rôle du père de son enfant ainsi qu'elle l'avait décidé. On ne peut rien construire sur des mensonges, et c'est peut-être une chance de le découvrir avant qu'il ne soit trop tard.
C'est un constat brutal et sans concession que nous offre Jennifer Murzeau, sur la société dans laquelle nous vivons et le type d'individus qu'elle produit. Pas très optimiste et pas très drôle mais, malheureusement très proche de la vérité. Disons que ça fait froid dans le dos d'autant plus que l'auteur livre une analyse assez crue qui ne s'embarrasse pas d'un peu de poésie. Sur le même sujet (ou presque), on pourra préférer le très beau "Ils désertent" de Thierry Beinstingel tout aussi sombre dans le propos mais plus abouti dans le style et porteur d'espoir.
"Il bouge encore" - Jennifer Murzeau - Robert Laffont - 256 pages