Le violoniste - Mechtild Borrmann
A force d'y être habitué, on ne mesure plus la chance d'être né et de vivre en démocratie, dans un pays de libre expression. En URSS, pendant des décennies, mieux valait ne pas se faire remarquer (et encore, parfois, ça ne suffisait pas) et éviter de déplaire au régime. C'est ce contexte de dictature implacable que choisit Mechtild Borrmann pour mettre en scène son roman policier dont le héros est un célèbre violoniste Ilja Grenko ou même plutôt son violon, un Stradivarius fabriqué au XVIIIème siècle et offert à son arrière- arrière grand-père par le tsar Nicolas II. Une origine, bien sûr, qu'il a fallu taire après la révolution de 1917 tandis que le violon a continué à se transmettre de pères en fils.
De toutes les générations qui se sont succédées aux commandes de ce superbe instrument, Ilja est sans conteste le plus doué. Applaudi dans le monde entier, il est, en 1948 au sommet de sa gloire qu'il partage avec sa jolie femme, Galina, et leurs deux très jeunes enfants, Pietr et Ossip. Aussi reste-t-il totalement incrédule lorsqu'au sortir d'une représentation il est arrêté par deux hommes et conduit à la Loubianka, le siège du KGB. Humilié, enfermé, frappé, dépouillé de ses affaires, il veut encore croire au malentendu mais finit, exténué moralement et physiquement par signer des aveux, contre la promesse que sa famille ne sera pas inquiétée. Il est condamné à vingt ans de goulag tandis que sa femme et ses enfants sont envoyés en exil au Kazakstan, sans qu'il le sache. La version officielle que l'on peut lire dans la Pravda est que Ilja Grenko, traitre à la patrie a fui et trouvé refuge à Vienne. Galina, d'abord sceptique est peu à peu convaincue par les arguments de l'ancien professeur de Grenko et part donc en exil en pensant que son mari les a réellement abandonnés. Quant au violon... Il a tout simplement disparu.
Quelques décennies plus tard, le petit fils de Ilja, Sacha, est brutalement mis au courant de l'histoire de ce violon qui semble avoir joué un terrible rôle dans le destin de sa famille, jalonné de nombreux cadavres. Il entame alors une quête douloureuse et surtout dangereuse pour tenter de faire la lumière sur les drames qui se sont succédés.
L'auteur alterne les chapitres historiques avec l'action contemporaine et donne ainsi au lecteur quelques clés de compréhension de la situation dans laquelle se trouve Sacha. Le volet romanesque, l'histoire dramatique de cette famille, leurs vies dans des conditions extrêmes nourris de fausses vérités, ce volet est vraiment passionnant et vibrant. Tout comme la peinture du régime totalitaire et des comportements qu'il induit. Par contre, le côté policier est moins convainquant, avec une impression de déjà vu et finalement assez peu de surprise à la fin. Mais attention, cela ne gâche en rien le plaisir de lecture. Simplement, c'est plus un roman qu'un policier à proprement parler. L'important étant beaucoup plus de comprendre l'enchaînement des faits, de mettre en exergue l'incroyable concours de circonstances plutôt que de savoir qui a tué.
Un roman qui ravira tous ceux qui aiment les contextes historiques et qui accordent de l'importance autant à la crédibilité du décor qu'à la psychologie des personnages. Moi, j'ai passé un bon moment.
"Le violoniste" - Mechtild Borrmann - Editions du Masque - 244 pages
Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE 2015 (sélection de décembre)