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Derrière la grille - Maude Julien

11 Mars 2015 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

Derrière la grille - Maude Julien

Attention, ici tout est vrai. Il s'agit bien d'un récit et non d'un roman. Difficile à croire au fil des pages qui racontent la terrifiante histoire de Maude Julien, sous l'emprise d'un père complètement dérangé. Il a fallu du temps à cette femme pour témoigner. Du temps surtout pour se reconstruire une vie après s'être sortie des griffes de cet homme. Devenue thérapeute, elle vient désormais en aide à tous ceux qui, comme elle subissent une emprise psychologique, que ce soit en groupe - on pense systématiquement aux sectes lorsqu'on parle d'emprise - ou même dans la cellule familiale, situation plus fréquente qu'il n'y parait.

Maude Julien livre donc son histoire, près de cinquante ans après le début de son enfermement. Elle avait seulement trois ans lorsque ses parents ont acquis une propriété dans la région de Saint Omer qui allait devenir une prison pour la petite fille dont elle ne sortirait que quinze ans plus tard. A ce moment, elle ne sait pas encore que le délire de son père date de bien plus longtemps et qu'elle est le fruit d'un plan mûrement réfléchi. Il a choisi sa mère lorsqu'elle n'avait que six ans, l'a éduquée et totalement asservie dans le but unique de concevoir une fille destinée à devenir un sur-être. Il faut qu'elle soit capable de résister à tout, dans un monde particulièrement hostile où les êtres humains sont foncièrement mauvais. Le quotidien de la petite fille est donc rempli de séances d'entraînement aussi bien psychologiques que physiques, d'apprentissages de tous les instruments de musique (parce que dans les camps de concentration, les musiciens s'en sont mieux sortis (!)), tout ceci entrecoupé du programme scolaire administré par sa mère et des leçons d'allemand. Son père lui apprend à n'accorder sa confiance à personne d'autre qu'à lui, à résister à la douleur, à ne jamais montrer ses émotions voire à chasser toute émotion.

On est sidéré qu'une telle entreprise ait pu exister, sous les yeux des rares personnes qui côtoyaient la famille (jardiniers, maçons, professeur de musique ou livreurs). Ce qui a permis à Maude de s'en sortir ? Les animaux qu'elle a réussi à maintenir à proximité et avec lesquels elle a noué les relations de tendresse qui lui ont été refusées par ses parents. Le poney, la chienne, le canard (sauvé de l'abattage) ou le pigeon (sauvé de la noyade). Et puis les livres. Parmi les lectures imposées par son père (les philosophes à neuf ans !) ou celles glanées en cachette dans sa bibliothèque, Maude a vu défiler devant ses yeux la possibilité d'une autre vie. Elle s'est identifiée aux héros de papier et par-dessus tout à Edmond Dantès, guidé par l'abbé Faria et à l'origine de son désir de se cultiver pour devenir plus tard un "médecin de la tête". Sans oublier son dernier professeur de musique, celui qui a compris ce qui se passait dans cette propriété et l'a aidée à la quitter.

Compte tenu du sujet, j'appréhendais beaucoup cette lecture. Mais l'auteure et la journaliste qui l'a aidée à accoucher de son récit font heureusement dans la sobriété. Il faut dire que les faits sont assez parlants pour éviter d'en rajouter. La narration reste centrée sur les sensations et les souvenirs de la petite fille, puis l'adolescente. Pas de condamnation, ni de son père à présent décédé, ni de sa mère qui vit encore. Simplement un témoignage sur l'enfermement, l'emprise et le délire d'un homme. Histoire de savoir que ces choses-là existent et que l'on peut les combattre, avec un peu d'aide.

Nul doute que Maude Julien saura comprendre et aider ses semblables.

"Derrière la grille" - Maude Julien (avec Ursula Gauthier) - Stock - 313 pages

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE 2015 (sélection de février)

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D
Puisse l'auteur avoir un lectorat, permettant de lire et comprendre les méfaits de l'emprise.<br /> C'est par hasard que j'ai découvert ce récit; je n'ai pas souvenir d'avoir lu quelque chose d'aussi dur sur la maltraitance infantile et adolescente..<br /> Je ne peux qu'encourager cette lecture, bien qu'elle ne soit pas récréative. Les personnes qui rencontrent l'auteur, thérapeute doivent voir leur vie transformée.<br /> danielle
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N
A l'époque il me semble que ce livre et son auteure avaient fait l'objet d'une forte médiatisation compte tenu du sujet, et tant mieux car, comme vous le dites, on a du mal à imaginer la mécanique de l'emprise quand on ne l'a pas vécue. Témoignage salutaire.
P
J'ai vu le reportage de TF1 du 9.08.15. Que de choses bizarres dans son récit : elle prétend que son père voulait qu'elle soit la meilleure en tout, et précise même meilleure nageuse. Comme elle n'a jamais pu sortir, où s'entraînait-elle ? Dans le lavabo ? Elle apprenait à jouer de toutes sortes d'instruments de musique, dont l'orgue. A part les orgues de Barbarie je vois mal un orgue digne de ce nom dans une maison ! Puis quand elle s'est échappée où est-elle allée ? Elle dit avoir eu des difficultés de se rendre au restaurant. Comment a-t-elle su qu'elle pourrait y manger ? Où a-t-elle trouvé de l'argent pour payer ?<br /> Du pipo ! La mytho ça existe, comme la naïveté des médias.
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N
Ouille, je pensais avoir supprimé ce commentaire ... visiblement anonyme puisque émanant d'un certain Paul Ussion (qui polue, donc...). Vous avez bien fait de répondre mais je doute qu'il revienne par ici (contrairement à vous, j'espère :-) )
L
Mais quelle honte de lire un pareil commentaire ! Je souhaite de tout cœur que l'auteure ne tombe jamais sur un tel message. Vous n'avez clairement pas lu le livre et l'histoire de sa vie pour poser de telles questions. Son père avait creusé une "piscine", en fait un trou à même la terre et c'est la pluie qui l'avait rempli d'eau, avant de la jeter dedans pour qu'elle apprenne à nager seule. Comment peut-on juger sans même avoir pris le temps de lire ? Comment peut-on juger après un reportage télévisé ? Comment peut-on juger tout court ? Et pire encore traiter l'auteure de "mytho". Vous prouvez bien par votre message la stupidité humaine. Je souhaite pour vous et vos proches ne jamais avoir à connaître 1% des malheurs qu'à pu vivre celle femme de 3 à 19 ans. Sans rancune - juste un sentiment énorme de déception.