Conte d'hiver - Mark Helprin
Et me voilà confrontée à la chronique la plus difficile à écrire depuis la création de ce blog. Comment parler de ce livre ? D'abord, est ce que je l'ai aimé ? Disons qu'il m'a suffisamment intriguée, surprise, séduite pour que j'aille au bout des mille pages qui le composent. Est-ce qu'il laissera une trace durable dans mon esprit ? Je ne sais pas, mais je me surprends à être encore sous l'influence de son univers singulier alors que j'ai déjà entamé une autre lecture bien différente. Décidément, ce Prix des lecteurs du Livre de Poche est bien plus surprenant que je ne l'avais imaginé.
Le titre est parfaitement juste, il s'agit bien d'un conte et l'hiver est omniprésent. En commençant ce livre, il faut avoir conscience que l'on entre dans un univers où l'imagination est reine, où les règles habituelles de temporalité n'existent pas. L'auteur mélange habilement les codes, les époques. Si par quelques rares indications on sait que l'on se trouve à proximité des grandes transitions que sont les changements de siècles, il est difficile de reconnaître le XXème siècle, que ce soit à son début ou à sa fin. On imagine que le changement de millénaire, propice à tous les fantasmes n'est pas étranger à la genèse de ce "Conte d'hiver".
Se laisser aller dans ce conte c'est aussi accepter de retrouver son âme d'enfant, et surtout cette crédulité qui laissait notre esprit s'imprégner des histoires sans aucune barrière et surtout pas celles de la vraisemblance. Un cheval blanc capable de faire des bonds extraordinaires, des paysages pris par les glaces où l'on ne se déplace qu'en traîneau, un lac caché et féérique, des héroïnes qui escaladent des congères, un mur de nuages au-delà duquel le monde n'est plus tout à fait le même... Mais si, nous sommes bien à New York. Une ville totalement fantasmée, habillée d'un manteau d'hiver et peuplée d'êtres étranges, qui nous ressemblent sans tout à fait être nous. Des êtres que nous avons peut-être croisés dans nos lectures d'enfance...
En retraçant la saga de la famille Penn, propriétaire de l'un des principaux quotidiens New-Yorkais, en suivant les aventures de Peter Lake, le génial mécanicien, bébé abandonné sur l'Hudson par des émigrants refoulés et recueilli par les Baymens un peuple assimilé aux Indiens et vivant sur le fleuve, Mark Helprin nous raconte le siècle sous un angle inédit... mais peut-être pas si fou. Ses personnages portent des valeurs qui confirment que son propos n'est pas si léger. Véritable ode à la nature mais également aux bâtisseurs, il prêche pour une heureuse harmonie entre le nécessaire progrès et la préservation de l'environnement. Même s'il faut pour cela construire des ponts comme des arcs-en-ciel menant à un autre monde.
Au-delà du conte, les thèmes abordés ne manquent pas même si l'auteur privilégie la métaphore et l'imagerie pour traiter de politique, de technologie ou même de capitalisme. C'est tellement foisonnant qu'il est impossible de faire un résumé digne de ce nom... seulement tenter de faire passer une atmosphère, sous l'influence de la mer (qui nourrit) et de la glace qui génère des paysages totalement sublimés. On est chez "La reine des neiges" et dans "Les temps modernes"...
Bref, vous l'aurez compris, le voyage que vous propose ce "Conte d'hiver" est totalement à part, hors du commun et nécessite de se laisser aller dans les bras du conteur sans aucun a priori. Sceptiques, s'abstenir !
"Conte d'hiver" - Mark Helprin - Le Livre de Poche - 1003 pages (traduit de l'anglais par Michel Courtois-Fourcy)
En sélection pour le Prix des Lecteurs du Livre de Poche (sélection mai 2015)