Noir et Or - Michèle Gazier et Pierre Lepape
Cela pourrait aussi s'intituler "Confessions d'une ambitieuse" mais le titre choisi correspond bien au contraste entre la noirceur des personnages et les décors dorés dans lesquels ils évoluent. "Roman de l'ambition et de la revanche sociale" nous explique la quatrième de couverture... Effectivement. C'est violent et sans concession, servi par une écriture précise, attachée à délivrer les faits et à faire ressortir le cynisme qui règne chez les puissants.
L'ambitieuse, c'est Juliette, fille d'un pépiniériste ancien mineur et d'une caissière de supermarché venue d'Algérie. C'est elle qui raconte, son envie de s'élever, de sortir de sa condition, de voir plus loin qu'un avenir bouché à Alès. Elève brillante et jolie jeune fille, Juliette a de nombreuses cartes en mains et l'intention de les utiliser. Une mention "très bien" au bac lui permet d'intégrer Sciences Po, et de s'ouvrir les portes du monde qu'elle convoite grâce aux relations qu'elle parvient à nouer et surtout à transformer à chaque fois en tremplin vers le niveau supérieur. Grâce au père d'un ami, elle est hébergée à Paris chez François de Maule, Conseiller auprès du Ministre de la Santé. Elle devient sa stagiaire, puis sa maîtresse et l'auteure d'une brillante magouille liée au trafic de médicaments dont tout le ministère tire profit en toute impunité... Son intelligence n'a d'égal que son cynisme. Fine observatrice, elle ne fait que reproduire, en les amplifiant et en les améliorant, les pratiques qu'elle observe autour d'elle. Un apprentissage qu'elle poursuit à Genève, bien décidée à maîtriser tous les rouages de la finance internationale et d'en remontrer aux plus roués des traders. Obsédée par sa quête de la réussite, par son désir d'intégrer la classe sociale des puissants, Juliette ne s'embarrasse pas de bons sentiments. Mais peut-on s'élever impunément ?
L'environnement dans lequel navigue l'héroïne, salons feutrés abritant politiciens et banquiers est particulièrement bien rendu par les deux auteurs. Les personnages masculins sont plus vrais que nature - ambition, cynisme, mégalomanie des politiques, lâcheté des fils à papa et des maris adultères - et l'on voudrait de temps en temps mettre en garde Juliette contre sa certitude de toujours maîtriser la situation et d'être plus forte qu'eux tous. Car, au fur et à mesure que se déroule sa confession, on comprend qu'il s'est passé quelque chose de grave...
On pourra, comme moi, trouver la fin un peu "too much". Cela ne nuit en rien au fait que l'on suit avec intérêt et même une sorte de fascination cette mise à nue d'une ambitieuse, fille du peuple cherchant à échapper à sa condition au risque de se brûler les ailes. Un regard à la fois original et terriblement cru sur notre époque, celle de la finance et du règne de l'illusion pour ce roman dont l'ambition est de faire écho à ce classique de la littérature qu'est Le Rouge et le Noir de Stendhal.
"Noir et Or" - Michèle Gazier et Pierre Lepape - Seuil - 164 pages