Rencontre avec Emma Healey
Emma Healey, c'est la petite souris au milieu sur la photo et l'auteure, à vingt-huit ans d'un premier roman très impressionnant, L'oubli. Il faisait partie de l'une des tout premières sélections du Prix des Lectrices de ELLE, je l'ai lu en septembre dernier et j'en garde encore la trace. Alors cette rencontre organisée le 11 juin à la Maison de la Poésie dans le cadre du Tandem Paris-London, c'était l'occasion d'en savoir plus sur cette jeune femme si douée et la genèse de son livre.
D'abord, parlons précocité. Emma Healey raconte volontiers qu'elle a toujours voulu écrire. Dès l'âge de 4 ans, elle dictait à sa mère des histoires qui mettaient en scène des chats et des serpents se rendant ensemble chez le dentiste. Belle imagination donc, et l'on sait qu'elle permet tout y compris de faire ressortir chat et serpent en se tenant par la main... Donc, Emma a toujours écrit et conservé ses écrits, même les plus anodins parce que cela donnait une réalité à son projet - devenir écrivain - qui pouvait sembler inatteignable. Même ce roman commis à l'âge de 15 ans, dans le plus pur style "à l'eau de rose" de la collection Harlequin, façon de tenir son esprit à l'écart d'une sévère dépression nerveuse mais également de se prouver qu'elle pouvait aligner un nombre de mots suffisants pour faire un livre.
Convaincue, elle s'autorise enfin à se lancer. Le déclic viendra de l'une de ses grands-mères sur laquelle les effets de la sénilité commencent à se faire sentir. C'est elle qui, lors d'un trajet en voiture prononcera les mots "mon amie a disparu" mettant ainsi en branle la fertile imagination d'Emma. Si le livre est dédié à ses deux grands-mères c'est parce que la seconde y a aussi contribué. Dans le roman, l'esprit de Maud navigue entre présent et passé ; les histoires racontées à Emma par son aïeule sur sa vie dans les années 40 et particulièrement après-guerre lui ont permis de camper un décor très réaliste. On comprend mieux l'impression de vérité qui se dégage au fil de la lecture.
Mais pourquoi un polar ? Je me souviens que les discussions des jurées du Prix ELLE tournaient autour du choix de cette catégorie. En effet, il n'a rien d'un polar classique, il n'y a pas d'enquêteur, tout se passe dans l'esprit de Maud avec néanmoins un mystère irrésolu qui tient le lecteur en haleine. Pour Emma Healey, c'était un moyen de donner un fil conducteur au lecteur mais également à elle-même en cours d'écriture, consciente que suivre les méandres de la pensée de Maud pouvait rapidement dérouter.
Déstabiliser le lecteur mais ne pas le perdre tout à fait. Voilà le secret du succès du livre. Emma Healey s'appuie sur le thème de la famille, ses petits tracas et ses grands drames pas toujours réglés et enfouis quelque part dans la mémoire, prêts à resurgir à n'importe quel moment. Elle utilise également le parallèle entre les deux époques : la confusion du cerveau de Maud âgée et la confusion des années d'après-guerre contexte de l'enfance de la vieille dame. Ce qui lui permet d'aborder le thème du deuil, celui que l'on doit s'autoriser à faire de soi-même en vieillissant.
Passionnante rencontre, impressionnante jeune femme. Si vous n'avez pas encore lu L'oubli, vous n'avez plus aucune excuse, il vient de paraître chez Pocket, pile poil pour les vacances. Quant à moi, je suivrai avec intérêt la prochaine production de Miss Healey.
Lire également ma chronique de L'oubli.