Montecristo - Martin Suter
Montecristo, c'était la bonne surprise de mon colis de membre du jury du prix du roman Fnac cette année. Certes, il ne fait pas partie des 30 finalistes mais j'ai passé un très bon moment avec cette plongée vertigineuse dans le monde de la finance suisse qui se lit comme un polar et joue avec les peurs actuelles en mettant en scène une sorte d'anti-héros qui n'a jamais eu vocation à camper les redresseurs de tort.
Montecristo, c'est le scénario d'un film que Jonas Brand n'a jamais réussi à monter, faute de financement. Parce qu'il faut bien gagner sa vie, Jonas est devenu vidéo-reporter pour une société de production zurichoise spécialisée dans les émissions de télé people, tout en se promettant, à l'aube de la quarantaine de renouer avec ses réelles ambitions. Alors, quand il s'aperçoit par hasard qu'il est en possession de deux billets de cent francs suisses portant le même numéro de série, l'envie de mener l'enquête sur cet événement a priori impossible est accentuée par le désir d'essayer une autre sorte de journalisme, l'investigation. Rapidement, Jonas fait le lien avec un "incident voyageur" dont il a été témoin lors d'un voyage en train ; un homme s'est apparemment suicidé en se jetant sur les rails. Jonas avait filmé les réactions des personnes présentes dans son wagon, vieux réflexe du métier. A partir de ce moment, les incidents se multiplient autour de lui, son appartement est cambriolé, il est agressé dans la rue sans que la police ne le prenne au sérieux. Seul un de ses amis, ancien journaliste d'investigation au placard le fait profiter de ses compétences tout en le mettant en garde.
Car par hasard, Jonas a mis au jour un élément qui pourrait dévoiler une affaire qui dépasse tout entendement. Alors que des événements heureux se succèdent - une rencontre amoureuse, l'annonce d'un financement pour tourner Montecristo - Jonas va se trouver confronté à une organisation qui n'est pas prête à voir son existence révélée au grand jour. Et il va devoir faire des choix.
Si la trame n'est pas nouvelle (l'individu lambda soudain confronté à un complot qui le dépasse), l'ensemble est bien troussé avec son rythme lent, son ambiance feutrée et une construction qui provoque assez vite d'addiction. L'intérêt de Montecristo, c'est sa crédibilité. Il y a un vague relent de théorie du complot mais accessible et réaliste (on est en Suisse...). Pas d'illuminés ni de sectes, pas de mégalomanes voulant à tout prix devenir les maîtres du monde. Simplement la connivence d'une caste, d'un club d'initiés bien décidés à garder la maîtrise du système à savoir le pouvoir et l'argent. La démonstration est claire et maîtrisée, elle prend appui sur des éléments contextuels familiers (on pense aux affaires Kerviel, HSBC, UBS...). Et la fin plutôt inattendue - amorale diront certains - contribue au charme de l'ensemble.
Bref. Si comme moi vous aimez ces histoires ancrées dans le réel et leur côté "on nous cache quelque chose", en voilà une bien ficelée qui devrait vous satisfaire et perturber encore un peu plus votre vision du monde.
"Montecristo" - Martin Suter - Christian Bourgois - 336 pages (traduit de l'allemand par Olivier Mannoni)