"68 premières fois" : alors, ces premiers romans ?
Quand j'ai rebondi sur l'idée de l'insatiable Charlotte, je n'avais pas encore mesuré tout l'intérêt de participer à cette aventure. Au-delà de la découverte de nouveaux auteurs, la rencontre avec une quarantaine de passionnés tout aussi dingues que moi est un plaisir incomparable. Et ce principe de livre voyageur, enfermant à chaque étape un petit mots à l'intention de son prochain lecteur crée une jolie chaîne relationnelle à laquelle je suis ravie de participer. Enfin, lire les premiers romans c'est aussi essayer de comprendre ce qui peut conduire un éditeur à publier un texte, au-delà de la façon dont je peux moi-même l'accueillir. Bref, c'est passionnant, cela prend du temps et impose un peu de patience par rapport à tous les autres titres qui ne sont pas des premiers romans et attendent bien sagement dans ma pile. Mes fidèles lecteurs auront remarqué que certains ont réussi à passer entre deux (La Source, La septième fonction du langage, Intérieur nuit), profitant d'une lenteur de la poste ou d'un abandon de lecture (il y en a eu peu, mais il y en a eu).
Je suis loin d'avoir lu les 68 mais déjà 20 sont passés entre mes mains. Suffisant pour faire un premier bilan, sachant que l'aventure se poursuit jusqu'en décembre et que j'espère bien d'ici-là avoir doublé la mise. Pour le moment, trois ouvrages se détachent, même longtemps après leur lecture, preuve que le texte s'imprime, que les mots laissent leur trace et qu'ils s'inscrivent ainsi dans les livres qui m'imprègnent durablement. En haut de mon palmarès provisoire, La cache de Christophe Boltanski (stock) qui pour le moment est le meilleur en tout, le plus complet, le plus pro aussi et que j'ai dévoré avec autant de curiosité que d'admiration pour l'auteur. Je ne sais pas si un autre ouvrage viendra le détrôner, en tout cas, je continuerai à le défendre bec et ongles. Juste après, je place Ressources inhumaines de Frédéric Viguier (Albin Michel), certainement le plus dérangeant dans ce qu'il montre de notre société si apte à fabriquer du vide, une plongée glaçante dans un monde du travail qui n'a rien d'irréel. Enfin, pour clôturer ce podium, Appartenir de Séverine Werba (Fayard), parce qu'on ne m'a jamais aussi bien parlé d'appartenance et qu'il m'a touchée directement aux tripes. Ces trois romans là, je ne risque pas de les oublier.
Sur les 20, seuls 6 n'ont pas fait l'objet d'une chronique de ma part, pour différentes raisons. La première est l'impossibilité d'aller au bout. Cela m'est arrivé deux fois, d'abord avec 111 (La fanfare) qui m'est tombé des mains et dont je ne peux même pas résumer l'intrigue, ensuite avec Après le silence de Didier Castino (Liana Levi) qui traite lui aussi du monde du travail mais côté ouvrier dans les années 60-70. Plusieurs de mes confrères l'ont trouvé fort et poignant, j'ai lu de bonnes critiques dans la presse je suis passée à côté. On ne peut pas tout aimer. Deuxième cas de figure, je suis allée au bout mais... je ne sais tout simplement pas quoi en dire. Là aussi, cela m'est arrivé deux fois avec La logique de l'amanite (Grasset) qui n'a pas réussi à me capter malgré une belle écriture et un humour noir qui détonne dans le paysage et surtout avec Extrême et lumineux de Christophe Manon (Verdier), un Objet Littéraire non identifié, plus proche de la poésie que du roman. Sabine et Françoise l'ont adoré, je leur laisse la parole. Enfin, deux m'ont laissée de marbre, sans envie d'en parler, tout simplement. C'est ça aussi, l'expérience des "68 premières fois", avoir envie de parler de certains livres que l'on n'a pas adoré mais auxquels on reconnait une certaine qualité littéraire, avoir le droit de se taire dans le cas contraire.
Pour finir, je veux mentionner quelques titres qui ont fait vibrer une petite corde et m'ont particulièrement touchée, pour des raisons très diverses. Camille, mon envolée de Sophie Daull, magnifique déclaration d'amour d'une mère à sa fille disparue et véritable objet littéraire, Les haines en moins de Eric Le Guilloux, un point de vue inédit et émouvant sur la paternité et Today, we live de Emmanuelle Pirotte qui met en scène la rencontre improbable entre un soldat allemand et une petite fille juive en fuite sur fond de bataille des Ardennes en décembre 1944. Émotion garantie.
L'aventure continue, à suivre sur le blog au gré de mes lectures ou lors d'un prochain point d'étape, disons dans un mois. Je suis notamment impatiente de découvrir les ouvrages qui semblent recueillir pas mal de faveurs au sein du groupe, notamment Les échoués de Pascal Manoukian, La maladroite de Alexandre Seurat ou Figurante de Dominique Pascaud. Et plein d'autres encore. Allez, je m'y remets.