Changer d'air - Marion Guillot
Même éditeur, même couverture, même parfum d'évasion... Pour aborder ce Changer d'air, il a fallu que je m'efforce de ne pas penser au Je m'en vais de Jean Echenoz. Si les deux romans sont similaires dans leur point de départ - un changement brusque de trajectoire -, la comparaison s'arrête là. Chez Echenoz, il était question d'une fugue qui prenait la forme d'une parodie de roman d'aventures tandis que nous sommes ici dans quelque chose de plus intimiste, un questionnement sur la façon dont on se sent plus ou moins acteur et maître de sa vie.
Dès les premières pages, le narrateur donne le ton : "J'avais tout de suite demandé son avis à Aude, pour éviter de trop réfléchir au mien". Ce poste de professeur dans un lycée de Lorient, ce n'est pas lui qui a pris la décision de l'accepter ; l'opportunité de quitter Paris, de s'installer au calme sur une presqu'île bretonne avec leurs deux enfants, ils l'ont saisie ensemble mais c'est Aude qui a tranché. Tout comme elle assume l'ensemble des décisions liées à leur famille, faute de trouver en lui une volonté suffisante. Alors le déclic qui se produit ce matin-là, le matin de la rentrée scolaire pourrait être lié à cette faiblesse dont il a toujours fait preuve. En assistant à un événement totalement fortuit alors qu'il attend le ferry pour effectuer sa courte traversée jusqu'à Lorient, il a soudain conscience d'être malheureux, sans trop savoir pourquoi, malgré la présence à ses côtés d'une femme qu'il aime. Il décide donc de ne pas faire sa rentrée, il quitte son domicile et s'installe à Nantes, d'abord chez un ami puis à l'hôtel et enfin dans un petit appartement en compagnie d'un poisson rouge.
Un parcours assez étonnant où le narrateur semble faire du sur-place, tout en avançant pas à pas sur les chemins de l'apprentissage d'une certaine indépendance. Paumé, il se raccroche à des rituels à la limite de l'absurde, tente de reconstituer un semblant de vie sociale, s'attache à un poisson, sans que l'on comprenne bien le sens de tout ça. L'auteure parvient ainsi à rendre la confusion qui règne dans son esprit, sans pour autant susciter l'empathie.
Alors de quoi s'agit-il exactement ? Un burn out ? Une parenthèse nécessaire ? Une crise de la quarantaine ? Ou bien tout simplement le besoin d'être sûr que la vie dont il a laissé les autres décider pour lui est bien celle qu'il a envie de vivre ? Un peu de tout ça certainement.
J'ai apprécié l'écriture précise au service d'un fil narratif tendu, qui est un peu la marque de fabrique de cette maison d'édition. Mais je ne me suis jamais sentie proche du héros dont les motivations restent assez floues et les états d'âmes semblent assez vains compte tenu du peu d'indications sur son passé, son histoire ou sa psychologie, hormis sa faiblesse - mais n'est-ce pas le cas de beaucoup ?
Ce qui explique certainement l'impression mitigée qui me reste après cette lecture. Pas inintéressante mais pas totalement convaincante. Comme s'il manquait quelque chose pour mettre le lecteur de son côté et emporter le morceau. Un sentiment d'inachevé... Néanmoins, la qualité de l'écriture m'incite à lui souhaiter de trouver son public, des lecteurs dont il saura faire vibrer cette petite fibre qui chez moi a résisté.
"Changer d'air" - Marion Guillot - Les Editions de Minuit - 175 pages
9/68 - L'exploration des premiers romans de la rentrée d'automne continue...
Laure l'a lu également.