Black-out - John Lawton
Dans la fantastique série Grands Détectives, voici le lieutenant Frederick Troy de Scotland Yard, un personnage qui ne manque pas de sel, plongé dans un Londres martyrisé par les bombardements allemands. Nous sommes au début de 1944, la capitale britannique souffre depuis quatre ans, ses habitants ont appris à vivre dans les abris du métro, les gamins jouent dans les décombres, une foule cosmopolite mêlant exilés, combattants et espions attend avec espoir le futur débarquement annoncé par des rumeurs incessantes et la présence de l’État Major américain. Ce contexte, extrêmement bien restitué, c'est sans aucun doute le point fort de ce polar qui flirte avec une belle réussite du côté du roman d'espionnage.
Le second point fort, c'est son héros. Le lieutenant Troy a choisi de rester à Scotland Yard plutôt que de s'engager dans l'armée. Il faut dire qu'en période de guerre, le crime continue, pourquoi en serait-il autrement ? Souvent critiqué pour ce choix, regardé de travers, soupçonné de lâcheté, il mène ses enquêtes sans se préoccuper de ce que l'on pense de lui, obsédé par la justice, fin limier et doté d'une excellente intuition. Benjamin d'une famille émigrée de Russie en 1905, il est aussi son seul membre à être né sur le sol anglais. Son père ayant bâti un empire de presse, il a navigué dans un milieu aisé et côtoyé un microcosme proche du pouvoir. Son caractère est marqué par ses origines slaves, teinté d'une certaine mélancolie et qui lui offre une sorte de recul de vue par rapport à la société britannique. Ce qui nous vaut quelques observations savoureuses tout au long du roman. Et offre un intérêt particulier dans ce contexte où se mêlent des populations de toutes les origines, véritable melting-pot de circonstances et qui n'est pas anodin dans le déroulement de l'intrigue.
Car oui, c'est la guerre, mais les gouvernements n'ont pas que cette seule préoccupation. Parallèlement aux manœuvres et à la préparation du débarquement, on s'inquiète déjà de l'après. Et notamment des menaces que représentent les communistes pour les États-Unis (une obsession, on le sait). Pour l'heure, quelqu'un sème des cadavres dans Londres en se donnant beaucoup de mal pour les faire disparaître. Quand il s'avère qu'ils sont tous allemands, la perplexité gagne Scotland Yard car ils n'ont jamais été répertoriés. Impossible dans ce cas de ne pas inclure le MI5 ni de remonter jusqu'aux États-Majors américains qui semblent impliqués. Pour le lieutenant Troy, ce n'est que le début d'une longue traque qui changera quelque peu sa vision du monde et au cours de laquelle il frôlera plusieurs fois la mort.
Savants allemands à exfiltrer, femmes fatales, agents doubles, sirènes d'alerte, tueurs à gages... L'intrigue est menée tambour-battant, on ne s'ennuie pas. Ce polar possède également ce petit supplément d'âme qui le rend intéressant au-delà de son intrigue policière. Il offre une plongée sidérante dans le Londres de la fin de la guerre, sorte de vision d'apocalypse ainsi qu'un tableau plutôt fin de la nature humaine. De la belle ouvrage !
"Black-out" - John Lawton - 10/18 - 474 pages (traduit de l'anglais par Anne-Marie Carrière)