Derrière les panneaux il y a des hommes - Joseph Incardona
Sûr qu'après ce livre, on ne verra plus tout à fait l'autoroute comme avant. Ou plutôt ces aires d'autoroutes aux jolis noms de fleurs (Lilas, cyclamen...) qui accueillent nos brèves haltes, le temps d'un café ou d'un plat, boutiques pimpantes, stations-services fonctionnelles, aires de pique-nique pour familles en goguettes. Joseph Incardona nous offre une plongée haletante de l'autre côté du miroir. Un roman âpre, puissant. Une écriture percutante, précise, dérangeante. Qui décortique les âmes et photographie les corps. Des mots crus dont se dégage pourtant une poésie certaine.
Sur cette autoroute, il y a Pierre. Qui guette, qui attend, enfermé dans sa voiture, transpirant à grosses gouttes en cette journée caniculaire du 15 août. Très vite on sait que Pierre a vécu un drame ici même six mois auparavant. Sa petite Lucie, 8 ans a disparu sur une aire de service. Envolée, volatilisée. Depuis, Pierre parcourt l'autoroute, cherche, interroge, observe, note, recoupe. Persuadé d'avoir affaire à un prédateur récidiviste, une sorte de croque-mitaine. Son instinct lui donne raison : une petite Marie disparaît le 15 août, dans un périmètre proche. Il sent qu'il se rapproche et tente de s'accrocher malgré le désespoir qui l'habite. Bientôt, les gendarmes font aussi le lien entre les disparitions de jeunes filles et resserrent l'étau. Deux chasses parallèles sont menées. Dans la chaleur accentuée par la prédominance de l'asphalte, les esprits et les corps s'échauffent. Mais Pierre veut être le premier à le trouver, pas question de partager ses informations...
La force de ce roman c'est son absence de temps mort et le rythme de ses phrases qui parviennent à créer une incroyable tension. L'auteur exploite à merveille l'environnement méconnu de l'autoroute, ses coulisses en quelque sorte et fait vivre tout un petit monde de l'ombre en complément de celui que l'on connaît mieux. Prostituées et pickpocket côtoient les employés des restaurants, de péage ou les routiers. Un cantonnier collectionne les objets abandonnés ou perdus sur son aire d'autoroute. Une vieille chiromancienne au passé chargé sent rôder la mort. Un journaliste chasse le scoop à sensation. Sur cette aire se croisent un gérant d'établissement aux méthodes mafieuses, des couples adultères, des familles en déliquescence. Joseph Incardona crée une ambiance incandescente sans épargner personne.
Il peint étonnamment bien la souffrance, les corps et les esprits torturés par la douleur. Chacun de ses personnages, premier ou second rôle est en souffrance à sa façon et porte un fardeau qui le mine. De quoi captiver bien au-delà de la traque. Et surtout, l'auteur tisse étroitement les fils qui mènent au dénouement, association de hasards et d'observations dont le lecteur est souvent le seul à relier les indices. Résultat : impossible à lâcher. Rien à dire, le noir, quand c'est aussi bien écrit, c'est fantastique.
"Derrière les panneaux il y a des hommes" - Joseph Incardona - Finitude - 280 pages
NB : Encore une découverte faite grâce à Nathalie de la librairie Chantelivre (rue de Sèvres - Paris 6ème). Traîner dans les librairies, il n'y a rien de mieux !