Le dernier amour d'Attila Kiss - Julia Kerninon
Souvenez-vous, ça s’appelait Buvard, c’était un premier roman et il a propulsé très vite son auteure sur les devants de la scène littéraire. Comme d’habitude après un tel bouche-à-oreilles, on se pose la question de la suite, on attend au tournant ce fameux second roman. Buvard parlait d’écriture et de vie avec une telle puissance que l’on pouvait se demander si Julia Kerninon n’avait pas déjà tout dit. Alors forcément, quand j’ai vu son nom sur une jolie couverture posée au milieu d’autres sur la table du libraire, j’ai été attirée comme un aimant. J’ai d’abord pensé qu’elle avait fait vite (deux ans à peine entre les deux livres), ensuite j’ai savouré le titre – Attila Kiss, un nom qui résume le propos à lui seul – et puis tout le reste.
L’amour et la guerre. L’amour comme une guerre. Pas très nouveau me direz-vous. Depuis la nuit des temps on utilise un vocabulaire guerrier pour parler d’amour. Conquérir, négocier, déposer les armes… Aimer est souvent un combat. Mais Julia Kerninon choisit de tirer ce fil jusqu’au bout, en explorant les moindres recoins de la mémoire des deux amoureux dont il est ici question, les blessures passées, celles qui les dépassent, celles que d’autres acteurs de conflits antérieurs n’ont fait que creuser.
« Lorsque deux individus se rencontrent et cherchent à entrer en contact jusqu’à se fondre, cela commence toujours comme commence une guerre – par la considération des forces en présence ».
Et les forces en présence ont tout pour s’opposer. Attila a 51 ans, il est hongrois et pauvre. Theodora a 25 ans, elle est autrichienne et héritière d’une riche famille de l'aristocratie viennoise. Les différences d’âge et de culture auraient déjà suffi à créer nombre d’obstacles. L’histoire de l’empire austro-hongrois, inscrite dans le sang de millions de descendants de ses différentes entités ballotées au gré des guerres passées vient compliquer encore la situation. Attila porte en lui toute l’humiliation d’un peuple sacrifié par les Empereurs successifs, passé sous le joug de puissances destructrices (Allemagne, URSS…). Le regard qu’il porte sur Theodora ne peut, dans un premier temps se libérer de cette influence.
« Lorsqu’il avait rencontré Theodora, il avait eu peur d’elle et de tout ce qu’elle impliquait, peur de sa force, de son audace, et à présent c’était comme s’il avait enfin trouvé un alibi, c’était presque confortable, il pouvait prétendre que sa première émotion n’avait pas été le vertige inhérent à l’amour, mais une forme de pressentiment atavique, penser que le Hongrois en lui avait reconnu dès le premier instant l’Autrichienne privilégiée qu’elle dissimulait, qu’il n’avait jamais été dupe, mais simplement patient, tenace, stratège, et qu’à présent il l’avait enfin débusquée ».
La naissance du couple que nous conte Julia Kerninon est un cheminement qui emprunte aux mouvements guerriers, un lent apprivoisement entre deux amants qui peuvent se percevoir comme des adversaires. L’amour qui les guide ouvre leur esprit, les incite à la confiance, à l’abandon. Ils s’apprennent. Ils surmontent leurs passés respectifs, voire leurs passifs. Ils s’autorisent enfin à être heureux, dans l’instant présent.
On retrouve dans ce nouveau roman, la plume alerte et acérée qui avait déjà impressionné, mise ici au service d'une dissection convaincante des différentes phases de la montée du sentiment amoureux. Quelques fils conducteurs aussi. Le combat qu’un individu doit souvent livrer avec lui-même. Le pouvoir cicatrisant de la peinture. L’envie d’échapper au monde qui mène à la solitude.
Il m’a bien plu, moi, cet Attila Kiss. Avec ce livre, l’auteure trouve un prisme original pour traiter d’un thème universel. Et dévoile un peu plus son univers singulier, guidé par une belle ambition littéraire. Si j'étais critique littéraire, je dirais que c'est une jolie confirmation.
"Le dernier amour d'Attila Kiss" - Julia Kerninon - La brune au rouergue - 128 pages