Manhattan people - Christopher Bollen
S'il s'agit de son premier roman, Christopher Bollen n'est pas un inconnu aux Etats-Unis où il est rédacteur en chef de la revue Interview (fondée par Andy Warhol) et signe des critiques littéraires dans plusieurs journaux importants. Il connaît bien Manhattan et ceux qui l'habitent, particulièrement les milieux culturels auxquels il ne se prive pas d'adresser quelques piques bien senties. Le Manhattan qu'il nous montre ici n'est pas celui des tour-opérateurs, C'est celui des rêves envolés et des espoirs déçus. Celui des réalités, derrière les paillettes, les lumières et la poudre aux yeux.
"Il faut bien qu'un matin, on se réveille en voyant cette ville autrement qu'une vaste cour de récréation où on peut faire n'importe quoi et avoir la gueule de bois en permanence".
A Manhattan se croisent des individus venus des quatre coins du monde et du fin fond de leur propre pays. En quête d'une sorte de terre promise, d'un eldorado. De célébrité ou, au contraire d'un anonymat reposant. Peu y sont nés, tous en font leur terre d'adoption. Mais New York se mérite, New York n'a rien de miraculeux ou de magique. Joseph Guiteau espère qu'en ayant laissé l'Ohio derrière lui, il s'est aussi débarrassé de la malédiction qui terrasse les hommes de sa famille à l'âge de 34 ans, même si sa carrière de comédien reste poussive. En épousant Delphine Kousavos si vite après leur rencontre, en lui permettant d'accélérer le processus d'obtention de sa carte verte cherche-t-il à se donner toutes les apparences d'une vie normale tout en conjurant le sort par une bonne action ? A Manhattan depuis douze ans, Del travaille dans des conditions précaires au département reptiles d'un zoo. Tout en éprouvant des sentiments profonds pour Joseph, comment être sûre de ses motivations réelles dans ce mariage ? Est-elle sincère alors que le souvenir de ses précédents petits amis est encore si présent ? Et notamment celui de Raj qu'elle ne peut s'empêcher de revoir. Raj est le frère de sa meilleure amie Madi. Tous deux issus d'une famille mixte, mère américaine et père hindou et constamment tiraillés par leur double culture, servant tantôt l'une tantôt l'autre. Photographe, Raj a fini par se terrer entre les murs de son studio, incapable d'exister en dehors. Madi exporte quant à elle les méthodes capitalistes américaines au service - croit-elle - de son pays d'origine. Pour finalement s'apercevoir qu'elle n'a rien compris. Pour son malheur, elle va croiser le chemin de William, un comédien raté, ami de Joseph, jaloux et prêt à tout pour exister à New York tout en menaçant sans arrêt de partir à Los Angeles.
Avec ces Manhattan people, le New York fantasmé, cosmopolite, arc-en-ciel en prend un petit coup. Derrière les apparences, c'est une ville dure que nous montre l'auteur. Une ville pleine de contradictions, à la fois sans pitié et terrain de tous les possibles. Les traces du 11 septembre 2001 sont bien présentes, ouvrant la voie à toutes les théories du complot et à des groupes qui s'en imprègnent dangereusement. Une ville où tous ces exilés, terriblement humains semblent perpétuellement en quête d'identité, démunis face à des obstacles inattendus, en manque de repères. Avec une question centrale : jusqu'où sont-ils prêts à aller pour gagner leur place à New York ?
J'ai passé un moment agréable avec ces Manhattan people, alternant entre mode caustique et tragicomique. Un angle de vue différent sur un certain New York et une plongée passionnante dans les rouages de ce qui motive les êtres. Une découverte intéressante.
"Manhattan people" - Christopher Bollen - Calmann-lévy - 440 pages