Rencontre avec Anna Hope
Était-ce l'effet d'un éclairage joliment tamisé ou tout simplement l'émotion de partager un moment privilégié avec l'auteure d'un premier roman aussi réussi que touchant ? L'ambiance était incroyablement chaleureuse lundi soir dans le salon que les éditions Gallimard avaient mis à disposition de cette rencontre, en partenariat avec Babelio. Oubliée la timidité habituelle de l'auditoire dans ce genre de situation. Les lecteurs qui comme moi avaient eu la chance de découvrir Le chagrin des vivants en avant-première étaient tous conquis et désireux de le faire savoir.
Et ils furent vite conquis également par l'enthousiasme et le charme d'Anna Hope visiblement ravie de reparler de ce livre sorti en 2014 en Angleterre où il cédera bientôt la vedette au second roman de l'auteure. Sans jamais perdre son sourire ou montrer le moindre signe de fatigue, Anna Hope a répondu aux nombreuses questions sur ses sources d'inspiration, sur le choix du thème de l'après Grande Guerre, sur son rythme d'écriture et la façon dont elle faisait évoluer ses personnages.
Nous avons ainsi mieux compris comment elle avait réussi à restituer de façon aussi parfaite l'ambiance de cette époque (1920) sans que jamais le lecteur n'ait l'impression d'une surcharge d'éléments factuels historiques (et ce, malgré un travail de documentation impressionnant). Elle a tout simplement été bercée depuis sa plus tendre enfance par la passion de son père pour l'Histoire et par tous les récits entendus autour de la Première Guerre Mondiale. Comme je le disais au début de ma chronique du livre, cette période est cruciale dans l'histoire du Royaume Uni. Pas seulement parce que le tribut payé s'est élevé à près d'un million de morts mais parce que cela marque un changement d'état d'esprit chez un peuple qui auparavant contemplait le monde du haut de son Empire. C'est une blessure encore douloureuse dans la psyché collective anglaise.
Mais dans ce livre, ce sont bien les femmes qui intéressent Anna Hope. Pas les héroïnes, comme les infirmières parties sur le front, souvent issues d'une classe aisée et capables de relater leurs aventures. Non, la lumière ici est pour les femmes silencieuses. Celles de la classe ouvrière, qui ont subi, qui ont supporté, qui pleurent leurs hommes disparus mais ne s'expriment jamais. Ce sont elles que l'auteure voulait saisir dans une période qui fut aussi celle des bouleversements pour la condition féminine. Les trois personnages qui composent le livre permettent de livrer le point de vue des femmes là où la plupart du temps on ne trouve que des récits masculins.
L'idée de structurer l'action sur les cinq jours de rapatriement de la dépouille du soldat inconnu a permis d'ordonner le roman et de filtrer le propos alors que le sujet s'annonçait vaste. Pour les britanniques dont le gouvernement avait pris la décision de laisser les corps des soldats morts là où ils étaient, ce soldat inconnu était enfin l'opportunité de faire son deuil après deux ans de larmes et de désarroi. Alors, l'idée d'une danseuse de compagnie au Hammersmith Palais (une institution à Londres qui a compté 6000 personnes lors de son ouverture en 1919), les anecdotes de femmes qui avaient tendance à voir les fantômes de maris ou de fils disparus, la femme à laquelle il manque un doigt... tous ces morceaux d'inspiration sont venus s'imbriquer autour du squelette constitué par le voyage de la dépouille.
Avant de se mettre à l'écriture, Anna Hope était actrice et cette influence se fait sentir dans la façon dont elle "caste" ses personnages autant que dans la délicatesse de ses descriptions qui s'attachent vraiment aux cinq sens. Quelqu'un lui a même dit que l'on pouvait sentir son roman (au sens de humer), ce qui n'est pas faux. Et personne ne s'étonnera qu'elle cite Virginia Woolf parmi les écrivains qui l'ont influencée (au risque de paraître cliché, s'excuse-t-elle avec une charmante moue), mais également Column McCann, Michael Cunningham ou Sebastian Barry. Intéressant également de l'entendre expliquer que parmi les nombreux ouvrages qu'elle a consultés au cours des deux années de travail sur ce livre, ce sont les romans écrits à l'époque qui lui ont permis de saisir et de comprendre l'ambiance particulière de la vie quotidienne des britanniques à ce moment-là. Le pouvoir de la fiction !
Voilà, ce fut un joli moment partagé avec quelques lecteurs passionnés qui guetteront sans doute avec un a priori favorable le second roman d'Anna Hope lorsqu'il sortira en France (pas avant deux ans). En attendant, longue vie au chagrin des vivants et un grand merci à Gallimard et à Babelio pour cette opération privilégiée et cette jolie découverte !
Lire aussi la chronique du livre Le chagrin des vivants