Rencontre : Le traducteur, ce passeur méconnu...
Passionnante rencontre organisée jeudi 4 février par la jeune et dynamique librairie Les mots et les choses à Boulogne-Billancourt. Trois traducteurs, pour une fois sous la lumière et face à leurs lecteurs. Trois visages pour incarner le temps d'une soirée ces travailleurs de l'ombre trop rarement mis en avant. Et à en juger par le monde qui se serrait entre les murs de la librairie soudain trop petite, la curiosité envers ces êtres étranges est bien forte...
Nous avons donc découvert qui se cachait derrière les versions françaises de Dan Carpenter ou Peter Heller (Céline Leroy, traductrice de l'anglais et de l'américain), celles de Arnaldur Indrianson ou Jon Kalman Stefansson (Eric Boury, traducteur de l'islandais) et celles de Antonio Lobo Antunes ou Fernando Pessoa (Pierre Leglise-Costa, traducteur du portugais). Un peu surpris d'être soudain l'objet de tant d'attention, mais rapidement entraînés par le plaisir de partager leur passion et quelques anecdotes.
Car le traducteur est face à un véritable paradoxe : une bonne traduction, celle qui permettra de trouver le juste équilibre entre traduction littérale et expression idéale en français, c'est également celle que l'on ne remarquera pas. Celle pour laquelle on ne louera que le style de l'auteur que l'on dira "magnifiquement traduit". Le traducteur doit se faire le révélateur, le passeur de l'auteur vers une autre langue et surtout une autre culture, tout en veillant à garder le ton de l'auteur. Et s'effacer sur la pointe des pieds. Quelle abnégation ! Et quelle bonne idée de consacrer un peu de temps à mieux connaître ceux qui contribuent tellement au plaisir que nous prenons en découvrant de nouveaux auteurs étrangers.
La France est d'ailleurs l'un des pays qui publie le plus de traductions et où le statut des traducteurs est le mieux protégé (Jack Lang est encore passé par-là...). Les traducteurs peuvent donc vivre de leur métier même si la traduction littéraire est moins bien payée que la traduction scientifique ce qui est inversement proportionnel au degré de difficultés rencontrées. Pierre Leglise-Costa donne notamment l'exemple de la poésie et l'on n'a aucun mal à comprendre la complexité de la traduction d'un poème face à celle d'un article scientifique. Eric Boury raconte la difficulté liée aux différences culturelles ; les quinze manières de parler de neige en islandais et, inversement, le faible intérêt concernant les essences végétales, contrairement au français qui veillera à ne pas confondre un chêne et un peuplier. En Islande, il n'y a pas d'arbres, tout simplement. C'est dans ces moments que le traducteur doit faire appel à toute sa créativité et à sa connaissance de la langue française. Dernier exemple, celui de Céline Leroy, souvent confrontée à la traduction d'idiomes parlés dans le Bronx ou le Queen's... et qui ne doivent en aucun cas ressembler au langage des cités de La Courneuve. Des détails qui expliquent également pourquoi les traductions peuvent vieillir plus vite que les œuvres elles-mêmes. Captivant.
Et les auteurs dans tout ça ? Quelle relation entre auteur et traducteur ? Bien sûr, cela dépend des personnalités, des cultures, des pays. Et l'on comprend, au fur et à mesure des anecdotes que certains cas sont difficiles à gérer. Quand l'auteur qui parle un peu la langue se pique de vouloir traduire ou bien, lorsque l'auteur est mort, quand on a soudain affaire à des spécialistes de son œuvre... Donc, le traducteur doit aussi être diplomate et ne pas se laisser influencer.
Enfin, petite pointe d'humour lorsque je leur soumets les paroles de quelques écrivains s'adonnant également à la traduction comme Agnès Desarthe ou Marie Darrieussecq (qui vient de livrer une nouvelle version de l'essai de Virginia Woolf, Une chambre à soi rebaptisé Un lieu à soi) qui considèrent cette activité comme un "délassement" entre l'écriture de deux romans. Sans aucun jugement de valeur mais en expliquant que le fait de ne pas avoir à inventer l'intrigue est reposant pour elles. Eh bien les traducteurs, eux ne se délassent pas en écrivant des romans mais simplement en lisant des livres. Pierre Leglise-Costa raconte que Marguerite Yourcenar qui a traduit Les Vagues de la même Virginia Woolf trouvait au contraire très compliqué d'être contrainte par le texte de l'auteur...
Quelle que soit la façon dont ils sont arrivés à la traduction, on sent chez chacun des trois une véritable passion pour la langue, les mots et surtout l'envie de transmettre sans trahir. Ce sont des histoires de rencontres dont il a été question tout au long de la soirée. Rencontre avec un auteur, coup de foudre et envie de le faire connaître... Oui, les traducteurs sont des passeurs de culture, maillons indispensables dans la chaîne qui mène à notre plaisir de lecteur.
Un grand merci aux dynamiques libraires de Les mots et les choses dont les soirées à thème sont décidément originales et pleines de bonnes surprises.