Le vent à gorge noire - Stav Sherez
Un polar bien mené, entre Angleterre et Ouganda, passé et présent. Un polar dont l'intérêt réside dans l'opposition entre une vision romantique de l'Afrique incarnée par trois jeunes anglais décidés à voir du pays, et la réalité brutale d'un pays miné par les guerres civiles, les dictatures et les violences des factions armées qui rivalisent de brutalité. Un polar qui rappelle avec talent qu'on n'échappe pas à son passé...
Et le passé, forcément, Jack Carrigan ne peut qu'y penser en découvrant le cadavre affreusement mutilé de Grace Okello, une étudiante ougandaise a priori sans problème. Lorsqu'on évoque l'Ouganda, Carrigan a mal au ventre, des sueurs froides et parfois des moments d'absence. Car son séjour là-bas avec ses deux meilleurs amis, vingt ans auparavant a totalement bouleversé leur vie. Tout juste diplômés, désireux de ne pas découvrir les mêmes contrées que tout le monde, ils ont choisi cette destination sans en connaître les dangers et ils en ont payé le prix. Pour Carrigan, cette enquête s'annonce donc doublement périlleuse. Flanqué de Geneva Miller, une enquêtrice imposée par sa hiérarchie pour le surveiller, il se heurte également aux barrages de la diplomatie ougandaise qui visiblement ne souhaite pas que la police londonienne ne remue un peu trop leurs petites affaires. Contre toute attente, le duo Carrigan / Miller va apprendre à se connaître malgré les embûches... ce qui ne sera pas de trop face à l'adversité.
Outre le fait que le duo fonctionne à merveille, la plongée dans un Londres méconnu, celui des communautés étrangères et plus particulièrement africaines est très intéressante. La confrontation entre les policiers de la Met et la diaspora ougandaise permet de donner à cette enquête une dimension politique et sociétale bienvenue. L'enquête offre une exploration des terribles maux de l'Ouganda, entre bourreaux sanguinaires, enfants soldats et populations martyrisées, sans oublier les complicités internationales, volontaires ou non. Quelques plongées régulières dans le passé permettent de comprendre peu à peu ce qui hante Carrigan depuis toutes ces années et l'a conduit à la Met alors qu'une carrière de musicien s'offrait à lui.
"Je ne crois pas à la prédestination. Des choix s'offrent à nous, mais plus nous en faisons, plus les possibilités se restreignent. Nos existences avancent sur un chemin qui se resserre. Aurions-nous vécu d'autres expériences si nous n'avions pas entrepris ce voyage ? Oui. Nous auraient-elles conduits au même point ? Là, tout dépend si tu considères que la personnalité l'emporte sur les circonstances".
En s'appuyant sur des ressorts classiques, ce polar parvient à renouveler le genre et capter l'intérêt grâce à l'utilisation d'un contexte dense et prenant. Du bon boulot !
"Le vent à gorge noire" - Stav Sherez - Le Livre de Poche - 478 pages (traduit de l'anglais par Eric Moreau)
Sélection de mars - Prix des lecteurs Le Livre de Poche 2016 - Catégorie Polars