Six fourmis blanches - Sandrine Collette
C'est mon premier Sandrine Collette et ma foi, cette jeune femme a réussi à me faire passer l'envie d'aller randonner en montagne. Bon, il faut dire qu'elle a tricoté une intrigue qui joue parfaitement avec nos peurs et nous met face à nos réactions instinctives, nous renvoyant à notre condition d'animal à peine un peu plus évolué. C'est parfaitement réalisé, bien dosé et bien écrit. Juste de quoi vous faire frissonner quelques heures tout en savourant le plaisir d'être bien au chaud...
Prenons donc un joyeux groupe de randonneurs, tout heureux d'avoir été choisis par l'organisateur pour inaugurer gratuitement un nouveau parcours avant que celui-ci ne soit proposé dans leur catalogue. Les deux couples (Lou et Elias, Arielle et Lucas) et les deux hommes (Etienne et Marc) qui composent le groupe font connaissance le jour du départ, au pied des montagnes qu'ils vont parcourir pendant trois jours accompagnés de leur guide, Vigan. Le temps est magnifique, les paysages s'annoncent grandioses et les jeunes femmes ne sont pas insensibles au charme ténébreux et protecteur de leur guide. Ce pays dont ils n'avaient jamais entendu parler jusqu'à ces derniers jours, cette Albanie qu'ils imaginaient beaucoup plus au nord, ils sentent qu'ils l'aiment déjà et se mettent en route le cœur léger. Mais très vite, le rêve se transforme en cauchemar : la météo vire à la tempête, leur physique de citadins peu sportifs les freine, et des bruits étranges les entourent. On dit qu'en Albanie, les esprits sont partout et les superstitions, surtout dans les montagnes, bien ancrées. De quoi faire monter la paranoïa au sein du groupe, surtout lorsque survient le premier accident...
Happé par un récit à deux voix, on suit la progression du groupe par l'intermédiaire de Lou et l'histoire de Mathias, l'homme des montagnes, le sacrificateur employé par les habitants pour offrir des chèvres ou des brebis en offrande aux esprits. Tandis que les touristes se concentrent sur les paysages, on découvre avec Mathias, la vie de cette communauté de montagnards taiseux, renfermés et superstitieux, dominée par la figure d'un patriarche aux allures mafieuses. Et bien que l'on se demande quand et comment les deux chemins vont se croiser... on ne voit pas le coup venir.
Sandrine Collette sait très bien manier les situations qui effraient, sans jamais en faire trop, en utilisant plutôt les ressorts psychologiques qui permettent une véritable identification du lecteur. La figure du guide qui symbolise la confiance, celui auquel on confie sa vie est au centre du dispositif et irrigue tout le fil narratif. Quant à la montagne, elle offre un décor glaçant à souhait, créant une situation proche de l'enfermement et faisant appel à l'instinct de survie, celui qui peut modifier les caractères.
Peur du noir, peur du loup, peur de l'autre... Franchement, les auteurs de polars et de romans noirs ont encore de beaux jours devant eux. Et Sandrine Collette n'est pas la dernière à savoir profiter de nos peurs.
"Quelle horrible impression celle de nos propres limites : jamais, dans la vie ordinaire, nous n'avons besoin d'aller aux frontières de ce dont nous sommes capables, à l'extrême de nos forces. Le sentiment d'arriver au bout de nous nous est étranger. Nous nous croyons invincibles, quand nous n'avons simplement pas à utiliser nos réserves. Nous sommes des protégés, des assistés qui s'ignorent. Des faibles."
"Six fourmis blanches" - Sandrine Collette - Le Livre de Poche - 310 pages
En sélection pour le Prix des Lecteurs du Livre de Poche (avril 2016) - catégorie Polars