Apaise le temps - Michel Quint
La littérature, vecteur de réconciliation ? Quel beau sujet ! On ne pouvait trouver mieux pour me décider à découvrir la prose de Michel Quint (mieux vaut tard que jamais...). Une écriture qui séduit dès les premiers mots, à la fois dense, alerte, élégante mais également ancrée dans le réel et le contemporain. Oui, apparemment on peut dire le présent sans s'exonérer d'une certaine ambition pour la langue. La dizaine de pages qui constitue le premier chapitre est tout simplement époustouflante de fluidité, de clarté et de construction.
C'est donc une librairie, le héros de ce petit livre. Une modeste librairie du centre de Roubaix, défraîchie et vieillissante abandonnée de tous sauf de quelques proches des anciens libraires, les Lepage. Un nom prédestiné mais surtout des convictions. Celles de Georges, en le pouvoir des mots.
"(...) Georges disait que les guerres sont finies et que les livres sont des amis communs à tous les hommes, des lieux où faire la paix. Des lieux d'égalité possible si on sait lire. Alors tu peux revendiquer tes racines en bloc, négritude, exil, pauvreté, descendant de victimes de l'esclavage et du colonialisme, flamezoute de toute éternité, c'est pas d'affirmer ta différence qui te rendra égal, ni de prendre les armes, c'est de te donner les moyens d'être aussi fort que n'importe qui. Par la matière grise."
Au point d'assister bénévolement les familles du quartier, fraîchement débarquées d'Algérie et de faire de sa librairie un vecteur de lien social. A sa mort, Yvonne, la fille de Georges a repris le flambeau. On le sait, l'altruisme ne paye pas. L'arrivée d'internet n'a fait qu'accélérer les choses, la librairie périclite inexorablement. Lorsqu' Yvonne meurt à son tour, elle fait d'Abdel Duponchelle son héritier. Le jeune homme, fruit d'une double culture a grandi au milieu des rayonnages de la librairie, trouvant entre ses murs une sorte de seconde famille. Issu d'un milieu modeste, il est agrégé et désormais professeur de lettres dans un lycée de Roubaix, infiniment attaché à la libraire qui a accompagné son apprentissage de la littérature autant que de la vie. Alors, accepter cet héritage qui représente plus de dettes que d'actifs ? C'est peut-être de la folie mais comment faire autrement ? Abdel hérite également des archives d'Yvonne qui fut photographe de presse avant de prendre la succession de ses parents. En s'y plongeant, il va revivre l'histoire de la librairie intimement et tragiquement liée aux événements d'Algérie qui ont vu un grand nombre de rapatriés s'installer à Roubaix. Et faire quelques découvertes essentielles qui permettront de mettre le passé de côté pour mieux repartir.
Si les éléments liés à l'Algérie m'ont parfois laissée de côté (je connais mal cette période et les subtilités d'un conflit qui s'est aussi délocalisé et prolongé dans les métropoles françaises), j'ai été complètement séduite par la galerie de personnages qui gravitent autour de cette librairie. Il faut dire que l'auteur les aime, ça se sent et se transmet forcément. A commencer par Abdel, amoureux des livres comme ses parents l'ont été l'un de l'autre au point de braver le qu'en dira-t-on de l'époque qui voyait d'un très mauvais œil le mariage d'un français et d'une algérienne. Séduite aussi par ce petit coin de France que met en scène Michel Quint, dominé par la figure du généreux Georges, toujours soucieux d'entraide et de transmission.
On quitte Abdel à regret, le sachant néanmoins bien entouré, avec un vrai projet de vie pour lui et sa librairie, en droite ligne de l'engagement modeste mais sincère de Georges. Et l'on se dit que Michel Quint a bien fait de nous parler d'eux, Saïd, Zita, Rosa, Abdel, Yvonne et Georges, parce qu'on aimerait en croiser plus souvent des comme ça.
"Apaise le temps" - Michel Quint - Phébus - 106 pages
Une idée de lecture née en regardant La Grande Librairie, renforcée chez Clara, confirmée par Noukette