Le Caillou - Sigolène Vinson
Moi aussi, parfois, j'aimerais être un caillou. Tout dur et tout lisse, qui ne ressent rien et sur lequel tout glisse. Quand la vie fait trop mal, ou simplement quand on ne sait plus trop dans quel sens la prendre, pour qui ou pour quoi rester vivant, alors, comme l'héroïne de Sigolène Vinson, la tentation est grande de fermer les écoutilles, tisser une épaisse carapace et se retirer du monde.
"Les gens font comme ils peuvent avec la vie. Arroser des plantes sous la pluie ou se balader avec une serpillière dans une serviette en cuir, c'est un moyen de tenir. Parce qu'il faut quand même bien qu'on tente d'aller jusqu'au bout".
Fable, rêverie ou métaphore d'une lutte pour remonter à la surface ? Ce Caillou est un drôle d'objet, plein de douceur pour affronter ses doutes face à un monde souvent incompréhensible. Une drôle d'histoire qui orchestre le destin de son héroïne par la magie d'une rencontre avec son étrange voisin, amoureux d'un coin sauvage de Corse et obsédé par l'idée de dessiner le visage de la jeune femme, et lui fait faire de brusques sauts dans le temps. La Corse sera donc le terrain qui la mettra face à elle-même et à ses failles, dans l'immensité de la beauté de la nature. La côte corse et ses rochers, expression parfaite de cet état minéral auquel aspire notre jeune héroïne.
"Les écueils n'ont rien à chanter d'autre que du Shakespeare ou du Hugo. Sinon, c'est qu'ils ont renoncé à leur dureté. Ignorent-ils qu'en devenant tendres comme les hommes, ils seront obligés de composer avec la recherche du bonheur ?"
Avec ce livre, Sigolène Vinson trouve une jolie façon de parler de la vie. Elle convoque poètes et chants corses, machos taiseux ou merveilles de la nature et offre une alternative à son héroïne pour se retirer de la laideur du monde sans pour autant renoncer à vivre. Par la magie des mots, elle enchante avec délicatesse un quotidien qui aurait pu sembler banal et peu coloré. Par le pouvoir de l'imaginaire, elle montre la voie de la guérison.
Que l'on ne s'y trompe pas, Le Caillou n'a rien de dépressif, tout juste nimbé d'une élégante tristesse, éclairée de ci, de là par des spots de couleur offerts par les paysages grandioses qui favorisent ce face à face avec soi-même. C'est un livre qui se lit plusieurs fois, avec des trésors de finesse cachés sous une apparente légèreté, et qui ne se révèlent pas tous en même temps. Il faut se laisser déstabiliser par cette fable délicieusement humaine, et accepter de ne pas retirer le caillou dans sa chaussure.
Ce Caillou risque de m'accompagner un petit moment sur le chemin de la vie. Tout simplement.
"Le Caillou" - Sigolène Vinson - Le Tripode - 196 pages
Un livre découvert grâce à Charlotte, sa plus fidèle supportrice, une lecture qui a également séduit Noukette, et enchanté Sabine.