Le mystère Henri Pick - David Foenkinos
Ce qui frappe immédiatement, c'est la pointe d'acidité qui assaisonne la recette fantaisiste qui signe le retour de David Foenkinos après le sublime et poignant Charlotte. Une acidité piquante qui donne au plat toute sa saveur et propose au lecteur un regard aussi lucide qu'ironique sur le petit monde qui gravite autour de ce grand sujet qu'est la littérature. Ça se déguste avec gourmandise, ça marque les papilles et on sort de table à la fois repu et prêt à remettre le couvert au prochain appel de l'auteur.
Le point de départ de l'histoire est donc l'existence d'une bibliothèque des manuscrits refusés, à Crozon dans le Finistère, où une jeune éditrice parisienne mais originaire de la région découvre par hasard un roman qu'elle juge fantastique. Seulement voilà : l'auteur est un certain Henri Pick, propriétaire d'une pizzeria et décédé deux ans plus tôt. Curieusement, cet homme ne lisait pas et n'avait officiellement jamais rien écrit, même pas une carte postale. Peu importe, Delphine Despero est persuadée de tenir un succès forcément renforcé par le climat de mystère qui assure une bonne histoire autour du livre. La veuve finit par se persuader que son mari était un véritable artiste caché et la fille entrevoit un possible changement de vie lié aux droits d'auteurs... Lorsque le succès survient, plus personne ne doute du talent méconnu de ce Henri Pick. Sauf Jean-Michel Rouche, critique littéraire sur la touche qui voit dans cette histoire une possible mystification et surtout le moyen de revenir sur le devant de la scène.
On ne sait pas de quelles personnalités réelles s'est inspiré David Foenkinos pour créer ses personnages mais on devine des emprunts à des individus qu'il a forcément côtoyés. Ce qui est sympathique c'est qu'absolument tout le monde en prend pour son grade, éditeurs, représentants, auteurs, journalistes, bibliothécaires sans oublier les auteurs. Tout ceci avec une bienveillance qui interdit toute rancœur ou amertume et positionne d'emblée ce roman sur un terrain ludique.
Et c'est là que Foenkinos est malin. Cette tonalité badine lui permet mine de rien d'asséner quelques vérités sur un milieu rattrapé par une sorte de course au scoop avec la nécessité de faire des coups. Un univers qui n'échappe pas au règne du marketing et du story telling. Son récit s'appuie sur la tonne de fantasmes qui entourent l'écriture et la littérature, depuis celui de l'apprenti-auteur aux rêves de gloire à ceux du critique en veine de pouvoir. Sans oublier ceux du lecteur lui-même.
"Les lecteurs se retrouvent toujours d'une manière ou d'une autre dans un livre. Lire est une excitation totalement égotique. On cherche inconsciemment ce qui nous parle. Les auteurs peuvent écrire les histoires les plus farfelues ou les plus improbables, il se trouvera toujours des lecteurs pour leur dire : "C'est incroyable, vous avez écrit l'histoire de ma vie !".
Du vécu peut-être ? Peu importe, on s'amuse beaucoup en compagnie de Delphine et de son amoureux écrivain maudit, on sourit des bouleversements qu'apporte cette soudaine célébrité aux habitants de la région de Crozon, on se surprend à vouloir connaître la vérité. Même si David Foenkinos nous le fait gentiment sentir : tout n'est qu'histoire et façon de la raconter.
Et ça, c'est le métier de l'écrivain, non ?
Ce livre va avoir le succès qu'il mérite et peut-être susciter des vocations avec son petit côté démythification du milieu de l'édition. Il va surtout donner envie de lire, encore et toujours plus. Merci !
"Le mystère Henri Pick" - David Foenkinos - Gallimard - 286 pages