Rencontre avec Karine Tuil
Double plaisir ce matin. Celui d'écouter Karine Tuil parler de son roman, L'insouciance, l'un de mes coups de cœur de la rentrée littéraire et celui d'admirer le nouvel espace "causeries" de la librairie Le Divan dont les travaux de rénovation sont une totale réussite. Un bel endroit, même si on regrette le manque d'isolation qui fait se dérouler la rencontre au milieu du brouhaha des clients qui déambulent dans la librairie et des cris du marché voisin à chaque fois que s'ouvrent les portes (et elles s'ouvrent souvent, quelle joie de voir autant de monde dans une librairie !).
Mais peu importe. Se replonger dans la genèse de L'insouciance par la voix de son auteure fait rapidement oublier ces petits désagréments sonores. Disons que c'est un moyen sympathique de retrouver les héros qui m'ont fait vibrer pendant quelques jours et de comprendre pourquoi je suis tellement en phase avec la façon d'écrire de Karine Tuil. Une auteure qui considère le roman comme un lieu de débat, qui confirme que les propos sur la littérature qu'elle met dans la bouche de son héroïne, Marion Decker pourraient être les siens, qui avoue écrire pour tenter de mieux comprendre le monde et pour le questionner. Mais qui n'oublie jamais de "divertir" son lecteur en lui tricotant une intrigue qui le capte menée par des personnages forts.
Si son travail de documentation et de recherche est énorme, c'est parce que l'auteure tient à s'inscrire au plus près des réalités sociales. A partir de ses obsessions, de ses peurs ou ses centres d'intérêts, les pièces du puzzle s'alignent peu à peu. Pour L'insouciance, ce fut d'abord l'intérêt pour la trajectoire d'un soldat, le syndrome de stress post-traumatique peu traité en France contrairement aux États Unis (un intérêt éveillé lors d'un drame survenu en Afghanistan en 2008). Et puis se sont greffés les différents personnages, au gré des interrogations qui lui tiennent à cœur comme la place des minorités dans les sphères de pouvoir ou la façon d'être enfermé dans une identité.
Pour Karine Tuil, qui est aussi une grande lectrice, la littérature est un lieu de consolation mais surtout un outil de construction de soi tant nous sommes influencés par les livres qui nous marquent et finissent par contribuer à façonner nos personnalités. Un livre doit nous transformer, nous interpeller... Avec L'insouciance, pas de problème, c'est réussi !
Et la suite ? Nous n'en saurons rien si ce n'est qu'elle empruntera encore et toujours au réel dans lequel elle trouve un matériau extraordinaire et qui lui permet d'assouvir son goût de plus en plus prononcé pour les rencontres liées à ses recherches (comme ici avec des conseillers politiques, des grands patrons et bien sûr des militaires).
Pour L'insouciance, l'immersion a duré trois ans et continue à présent lors d'un parcours chargé de promotion. Je lui souhaite de profiter à fond de ce moment, quelle que soit la décision finale des jurés Goncourt (il est sur la première liste, tout comme le précédent, L'invention de nos vies avait figuré parmi les quatre finalistes en 2013).
Et pour ceux qui n'auraient pas encore compris : L'insouciance est un grand roman, à lire absolument !