L'indolente - Françoise Cloarec
Roman ou récit ? Aucune mention n'accompagne cet ouvrage et il est bien difficile de le classer. L'enquête qui a accompagné sa construction fait partie intégrante du récit mais, le fait de ne pas vraiment trouver de réponse au "mystère Marthe Bonnard" fait pencher l'ensemble vers une sorte de biographie romancée. Intéressante à lire pour l'éclairage qu'il apporte sur l’œuvre de Pierre Bonnard et l'influence de sa femme, ultra-représentée dans ses toiles.
C'est d'ailleurs cette contradiction qui a intrigué puis obsédé l'auteure (et on la comprend) : omniprésente dans les tableaux de son mari, peinte dans toutes les positions, avec ou sans vêtements, Marthe Bonnard reste pourtant une totale inconnue, réfugiée derrière une identité qu'elle s'est choisie très tôt, le jour de sa rencontre avec Pierre en 1893. Ce n'est qu'à la mort du peintre, cinq ans après sa femme, que la succession mettra à jour les mensonges de Marthe. Est-il possible que Pierre Bonnard ait vécu pendant toutes ces années avec une femme dont il ignorait le vrai nom de famille et les origines ? A-t-il choisi de ne pas s'interroger ? Malgré toutes ses recherches, malgré les témoignages des descendants de ceux qui ont côtoyé le couple, rien ne permet d'éclaircir ce mystère qui restera à jamais prisonnier de l'intimité du couple. Et c'est tout simplement remarquable que ce couple, très exposé, très en vue à l'époque - on aurait dit très médiatique de nos jours - parvienne à garder son mystère malgré le scandale généré par le règlement de la succession dans les années 50.
Mais cette investigation de la part de l'auteure est surtout l'occasion de nous donner à voir un couple tout à fait extraordinaire pour l'époque, loin des conventions et très ancré dans la modernité. Pierre Bonnard, contrairement à ses prédécesseurs impressionnistes est un peintre qui connaît la réussite et même la gloire de son vivant. Loin de la bohème associée à la vie d'artiste, on est ici dans le confort bourgeois, pas très loin de l'opulence vers la fin de sa vie. La relation qui unit Marthe et Pierre est exclusive et survivra même aux petites incartades du peintre. La façon dont il la représente sans cesse, toujours jeune, jamais marquée par le temps est une fantastique déclaration d'amour. Un témoignage sur leur vie et les sentiments qui les unissent.
Françoise Cloarec nous invite à un voyage dans la première moitié du XXème siècle aux côtés des artistes de l'époque, tels Vuillard, Signac ou Valloton. Ou encore Monet dans la dernière partie de sa vie. Elle éclaire notre connaissance sur l’œuvre du peintre, sa palette de couleurs ou encore ses motivations à peindre les choses et les décors de la vie quotidienne. On découvre également qu'il est à l'origine d'une réflexion puis d'une loi sur le droit moral du peintre sur son œuvre, qui voit enfin l'artiste reconnu propriétaire de son tableau jusqu'à ce qu'il le juge terminé, ce qui n'était pas le cas jusque-là. Pierre Bonnard pouvait garder des années des tableaux dans son atelier avant de les finaliser, parfois pour une seule petite touche de couleur... A sa mort, la valeur des œuvres ainsi conservées se montera à plusieurs centaines de millions de francs, donnant lieu à une féroce bataille entre les héritiers.
Personnellement, je ne connaissais pas du tout cette histoire même si j'ai déjà eu l'occasion de visiter des expositions liées aux œuvres de Bonnard auxquelles le personnage de Marthe est bien sûr toujours associé. Alors d'accord, si l'on cherche des révélations, on risque de rester sur sa faim. Mais on peut aussi apprécier le fait que le mystère reste entier... ce qui est en soi un très joli sujet de livre. Et un bel hommage à ce couple lié autant par l'amour que par l'art.
"L'indolente" - Le mystère Marthe Bonnard - Françoise Cloarec - Stock - 348 pages