14 juillet - Eric Vuillard
Il y a des lectures qui, certains jours ont une résonance particulière. Outre la puissance de l'écriture, ce 14 juillet est un rappel bienvenu de la puissance du peuple quand il décide de changer les choses. En redonnant vie et fureur à cet épisode essentiel de l'histoire de France que l'on pense - à tort - bien connaître, Eric Vuillard nous tend un miroir dans lequel se reflètent de curieux parallèles entre passé et présent. C'est extrêmement troublant.
"Ainsi, durant toute la période qui précède la Révolution, on assiste à de curieuses manoeuvres sur les deniers d'Etat. La dette publique ne cesse de croître et le peuple à faim. On spécule en Bourse sur les emprunts. La France est presque banqueroutière."
C'est un récit fantastique que nous livre l'auteur, une sorte de reportage au coeur de l'action réalisé par un journaliste qui serait aussi un talentueux écrivain. Un récit qui s'intéresse à ceux dont personne ne parle. "Des morceaux de foule", ceux qui composent "le peuple" et sont demeurés anonymes dans les livres d'histoires, des noms qu'il faut exhumer de sombres archives où pourrissent des listes de patronymes oubliés et même jamais connus. C'est extrêmement émouvant ce que fait Vuillard. Il donne des visages, des odeurs, des couleurs et de la voix à ceux que l'on agrège dans cette multitude appelée "le peuple", il recrée leurs identités, leurs vies pauvres et trop courtes. Il dessine le mouvement de toutes ces individualités unies vers un même but, sans vraiment de concertation et il dresse le portrait de ces acteurs oubliés, morts pour un idéal dont ils ignoraient toute la portée. C'est passionnant. Une leçon d'histoire bien plus efficace qu'un cours magistral. Qui replace les choses dans leur contexte. Qui rappelle ce qu'était la France alors, ce qu'était Paris, le chômage, les émigrés et les apatrides... tiens tiens.
"Ainsi la sédition. Elle surgit dans le monde et le renverse, puis sa vigueur faiblit, on la croit perdue. Mais elle renaît un jour. Son histoire est irrégulière, capricante, souterraine et heurtée. Car il faut bien vivre, il faut bien mener sa barque, on ne peut pas s'insurger toujours ; on a besoin d'un peu de paix pour faire des enfants, travailler, s'aimer et vivre."
Oui, il y a des livres qui tombent à pic. Mais il faut le talent d'Eric Vuillard, son écriture magnifique, son souffle épique pour en faire un excellent moment de lecture et un objet que l'on a envie de conserver pas trop loin de soi, pour y revenir. Se replonger dans l'histoire pour mieux appréhender l'avenir ?
"On devrait plus souvent ouvrir nos fenêtres. Il faudrait de temps à autre, comme ça, sans le prévoir, tout foutre par-dessus bord. Cela soulagerait. On devrait, lorsque le coeur nous soulève, lorsque l'ordre nous envenime, que le désarroi nous suffoque, forcer les portes de nos Elysées dérisoires, là où les derniers liens achèvent de pourrir, et chouraver les maroquins, chatouiller les huissiers, mordre les pieds de chaise, et chercher, la nuit, sous les cuirasses, la lumière comme un souvenir."
"14 juillet" - Eric Vuillard - Actes Sud (Un endroit où aller) - 200 pages
Une idée piochée chez Delphine, confirmée par Clara et Keisha