Le Garçon - Marcus Malte
Peut-être ma lecture la plus forte cette année, et je pèse mes mots. Les coups de coeur n'ont pas manqué, loin de là et j'y reviendrai bientôt. Mais celui-ci... Le Garçon réussit l'exploit de mettre dans le mille quel que soit le bout par lequel on le prend. Immense plaisir de lecture, par son intrigue, son propos et surtout son écriture d'une liberté revigorante. Marcus Malte explore tous les registres de façon magistrale, offrant ainsi plusieurs romans en un, roman d'aventures, roman d'amour, roman naturaliste... On passe, ébloui, de l'un à l'autre avec une gourmandise qui ne se dément pas, souhaitant ne jamais en voir la fin. Ce roman vient de rejoindre le club très fermé de ceux que j'emporterais sur une île déserte, certaine d'y puiser, à chaque nouvelle lecture de nouveaux délices.
Le Garçon est l'histoire d'un apprentissage et l'histoire du monde. Lorsque nous faisons sa connaissance, ce garçon qui n'a pas de nom est un être isolé qui n'a connu que la compagnie de sa mère, un adolescent à peine pubère. Nous sommes en 1908, dans une campagne aride du sud de la France. Sa mère vient de mourir et le garçon commence ainsi sa confrontation avec les hommes, qu'il ne connait pas, dont il ignore totalement les modes de vie, les motivations et encore moins les règles qui régissent la vie en communauté. Le garçon est une page blanche, totalement vierge, faite de papier buvard capable d'absorber rapidement ce qu'il voit et perçoit afin de le reproduire. C'est aussi un être qui ne parlera jamais, mais doté d'une incroyable sensibilité.
"Qu'est-ce exactement ? On l'ignore. Et de grâce, faites que le mystère perdure. L'indéchiffrable et l'indicible. Que nul ne sache jamais d'où provient l'émotion qui nous étreint devant la beauté d'un chant, d'un récit, d'un vers."
Ce sont les rencontres qui vont peu à peu façonner le garçon, aiguiser la sensibilité de cette âme pure, totalement dénuée d'arrière-pensées. Des hommes qui vont lui faire percevoir la notion de communauté, de famille, avec plus ou moins de rudesse. Des figures comme celle de Brabek, l'ogre des Carpates, un lutteur qui sillonne les routes en roulotte auprès duquel le garçon trouvera un semblant de foyer et d'affection. Avant qu'Emma n'entre dans sa vie et lui fasse découvrir l'amour, le grand, puissant et charnel. Avant que la guerre ne se charge de rappeler que tout n'est pas amour, loin de là. Avant que...
"Mais ça passe si vite. C'est déjà passé. Temps du bonheur et temps du malheur ne sont ni d'égale mesure ni d'égale valeur."
Pour quelques beaux personnages, pour quelques belles rencontres, combien de malheurs, de drames, d'atrocités ? Beauté et laideur s'opposent, et constituent un tiraillement incessant pour le garçon, témoin de ce que l'humanité offre de meilleur comme de pire. Le personnage d'Emma, fantastique portrait d'une femme libre, sensuelle, intelligente, éprise de beauté, amoureuse sans retenue illumine le livre. Lumière tentant de vaincre l'obscurité de la bêtise des peuples engagés dans une guerre meurtrière dont ils s'enorgueillissent.
Ce livre est une belle expérience, qui interroge, émeut, émerveille, indigne aussi. Mais c'est avant tout une aventure littéraire qui vous replonge aux sources du plaisir de la lecture, un plaisir aussi pur que ce garçon encore vierge de tout contact avec l'humanité. Il faut saluer la performance de l'auteur qui ose sortir des chemins balisés, laisse une liberté heureuse à sa plume et surprend sans cesse son lecteur.
Pour moi, c'est simple, s'il n'y a qu'un livre à lire cette année, c'est celui-ci. S'il n'y a qu'un livre orné d'un bandeau rouge à offrir cette année, c'est celui-ci, que les jurées du Femina ont eu la sagesse de couronner. Roman total, roman universel... un vrai cadeau !
"Le Garçon" - Marcus Malte - Zulma - 540 pages
Bénédicte a été la première à attirer mon attention sur ce livre, avant que Benoît et Noukette n'enfoncent le clou. Qu'ils en soient remerciés !