La part des flammes - Gaëlle Nohant
J'arrive un peu après la bataille, ce roman a reçu déjà tant de compliments et suscité tant de chroniques élogieuses... sans oublier la cerise sur le gâteau, le Prix des Lecteurs du Livre de Poche, décerné en septembre dernier. Le risque après tout ça, c'est la déception. L'effet inverse, celui que j'ai ressenti, c'est la double ration de plaisir en découvrant au fil des pages que c'est encore mieux que ce que l'on pensait. J'ai vibré, je n'ai pas quitté les personnages même lors de mes quelques pauses, j'ai apprécié d'améliorer ma connaissance de ce fait divers dont je n'avais jamais entendu parler jusque-là, je me suis laissée emporter par une trame romanesque vraiment enthousiasmante.
D'abord le contexte. Cet incendie dramatique du Bazar de la Charité, en 1897, un vaste hangar réunissant des dizaines de stands de ventes de charité, où l'on se bouscule pour être vu. Un événement mondain soudain transformé en horreur, un feu qui se propage à la vitesse de l'éclair faute de normes de sécurité suffisantes, des robes qui s'embrasent, des corps calcinés, des foules apeurées et hystériques qui n'hésitent pas à piétiner ceux qui sont à terre pour tenter d'échapper au brasier. Scènes de panique, scènes d'horreur. Voilà un épisode incroyablement bien rendu, et un fait divers auquel on rend tout ce qu'il a eu de tragique en nombre de pertes humaines et de blessures irréversibles.
Mais encore fallait-il réussir à créer une trame romanesque qui dépasse ce simple fait divers. Gaëlle Nohant semble ressusciter Alexandre Dumas. Il y a du mousquetaire dans le personnage de Laszlo de Nérac (originaire de Gascogne, n'est-ce pas ?), flamboyant, ambitieux, passionné, prêt à défendre son honneur pour conquérir sa belle. Il y a du mousquetaire aussi dans le très beau personnage de Violaine de Raezal, qui, avec des armes différentes a également à coeur de conquérir Paris et sa liberté malgré l'accueil plus que tiède de la bonne société, aggravé par son veuvage récent. Au cours du drame du Bazar de la Charité, les destins de Laszlo, Violaine mais également Constance d'Estingel, la jeune femme dont Laszlo est amoureux et de la duchesse Sophie d'Alençon (soeur de Sissi) vont se trouver irrémédiablement liés et transformés. Et je vous garantis une chose : on ne lâche pas l'affaire avant la fin (qui arrive trop vite, forcément).
J'ai vraiment apprécié la subtile reconstitution historique qui en dit beaucoup sur la condition des femmes à l'aube d'un 20ème siècle dont on ne sent pas encore les transformations à venir. Les différences de classe, les différences de traitements entre les riches et les pauvres qui existent même dans la mort, comme si certaines victimes avaient plus de prix que d'autres (mais est-ce que les choses ont changé de nos jours ?).
L'auteure a réussi son pari : me faire passer un moment qui mixe plaisir et découverte. Elle mérite très largement tous les lauriers qui lui ont été tressés. J'y ajoute une petite couronne personnelle et j'attends avec intérêt son prochain opus.
"La part des flammes" - Gaëlle Nohant - Le Livre de Poche (Editions Héloïse d'Ormesson) - 550 pages