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Le centre commercial - (une nouvelle, par moi-même)

25 Décembre 2016 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Parfois j'écris aussi...

A l’origine, la bibliothèque était installée dans l’allée centrale du centre commercial. Comme si on avait voulu donner une âme à ce temple de la consommation en le dotant d’un lieu d’échanges, voire d’un alibi culturel. Quelques étagères, des livres en accès libre, une invitation à se servir et à en apporter d’autres qui trouveraient à leur tour des lecteurs. Belle idée. Partage. Convivialité.

Quelques mois plus tard, la bibliothèque a été reléguée au sous-sol du centre commercial, entre les toilettes des hommes et l’espace bébé, mais à proximité de quelques fauteuils et d’un distributeur d’eau fraîche.  Un « bar à ongles » l’a remplacée dans l’allée centrale. Faute de vernis culturel, un mur de petits flacons multicolores fait briller les yeux des fashionistas.

Le centre commercial -  (une nouvelle, par moi-même)

Camille n’a jamais osé s’approcher des étagères. Même dans ce sous-sol impersonnel où les gens ne font que passer, trop pressés de retourner dévaliser les boutiques des étages supérieurs. Chaque jour, après ses cours, elle vient s’installer dans un des fauteuils, face à la bibliothèque et elle observe. Les indifférents, les curieux, ceux qui ricanent et ceux qui étudient avec attention le contenu des étagères, à la recherche de la perle rare. Elle commence à connaître certains habitués. Une grande blonde perchée sur des escarpins de douze vient régulièrement vider le contenu d’un panier à provisions. Elle le fait rapidement, presque en catimini, comme si elle avait honte de livrer un peu d’elle-même par l’intermédiaire de ces livres délaissés. Une vieille dame, toute petite et ridée, toujours vêtue d’un vieux pardessus aux manches rognées et à l’ourlet défait vient chaque semaine chercher un nouveau livre. Elle chausse ses lunettes et parcourt avec calme et méthode chaque étagère, jusqu’à ce qu’un sourire se dessine sur ses lèvres. Le volume repéré est escamoté sans plus tarder et Camille la regarde trottiner jusqu’à l’ascenseur avec son trésor.

Chez Camille, il n’y a pas de livres. Dans la pièce qu’elle partage avec ses deux frères, les trois matelas prennent toute la place et les étagères servent à ranger leurs quelques vêtements. Ses affaires de classe restent dans son cartable jusqu’à ce que sa mère libère la table de la cuisine pour qu’elle puisse faire ses devoirs. Lorsqu’elle a besoin d’un livre pour l’école, Camille l’emprunte à la bibliothèque municipale. Le rendre est parfois un déchirement. Mais sa mère lui a bien expliqué la situation. L’argent est rare, les livres sont trop chers et pas assez nourrissants. Il faut faire des choix.

Au premier étage du centre commercial, il y a un immense magasin de produits culturels et des rayonnages entiers de livres de toutes tailles. Camille y est entrée un jour et s’est mise à pleurer. Avant de s’enfuir. Terrorisée par l’idée qui lui avait traversé l’esprit. Voler…

Sur les étagères du sous-sol, les livres sont gratuits, elle aurait le droit de se servir. Mais elle n’ose toujours pas. Jusqu’à ce jour où son regard est attiré par un vieil homme vêtu d’une veste en velours rouge, un nouveau venu pense-t-elle. Il traine deux grands sacs dont il extirpe des piles de livres avant de les ranger avec beaucoup de soin dans les rayonnages. Il redresse les volumes qui ont été chahutés par les mains avides des passants, entreprend de classer les livres par tailles et par couleurs, on dirait un libraire en train de préparer ses vitrines pour Noël. Camille ne quitte pas ses mains des yeux, captivée par ses gestes précis, caressants, presque amoureux. Satisfait, il s’éloigne un peu pour juger du résultat, se tourne vers elle et lui adresse un clin d’œil d’où perce un éclat bleu saphir avant de disparaitre dans l’escalier.

Alors Camille s’approche de la bibliothèque. Elle ferme les yeux, lance ses deux mains en avant et tâtonne, palpant la forme des livres, attentive à ses sensations. Elle touche, elle caresse, elle hume aussi. C’est comme si les livres étaient vivants et qu’ils lui parlaient, lui envoyaient des images, comme si tous les personnages contenus dans les volumes se disputaient ses faveurs.  Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle tient dans la main un bel exemplaire relié de Sans famille d’Hector Malot. Elle frissonne. Regarde autour d’elle et part en courant, le livre serré contre sa poitrine.

Le soir, le repas lui semble interminable. Une fois dans sa chambre, elle s’arme de patience, attend que ses frères soient endormis. A l’abri de ses draps, Camille ouvre le livre, une lampe de poche pour seul éclairage. Elle lit une page au hasard, le livre est à elle, elle a tous les droits, y compris celui de lire dans le désordre. Elle voudrait crier de joie. Décide de commencer par le début et sursaute en découvrant la première page. A l’encre bleue, avec des pleins et des déliés, sur toute la surface de la page, quelqu’un a écrit : Joyeux Noël, Camille !

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Ce centre commercial existe, les étagères également... comme tant d'initiatives dédiées au partage des livres, toutes ces boîtes à livres qui se multiplient et permettent de si belles rencontres. Pour le reste, toute ressemblance avec un personnage existant...

Bonnes fêtes à tous ceux qui passent par ici !

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