Le cas Malaussène (I) - Daniel Pennac
Retrouver la tribu Malaussène c’est à la fois remonter le temps et faire face à la réalité : nous avons tous vieilli. La petite Verdun que nous avions connue bébé hurlant calmé uniquement par l’inspecteur Van Thian a désormais 29 ans et exerce le beau métier de juge d’instruction, toujours à la recherche de la vérité… Alors il faut effectivement un tout petit temps d’adaptation pour se caler sur cette nouvelle donne (merci le répertoire des personnages à la fin !). Mais petit, parce que tout de suite, le rythme revient grâce à ce ton très reconnaissable qui lui n’a pas pris une ride. Et c’est parti pour une cadence infernale, sur les traces des enfants et neveux Malaussène grâce auxquels, la relève est assurée !
Benjamin est toujours employé par les Editions du Talion que dirige la reine Zabo, certes vieillissante mais au sommet de sa forme et qui a su réorienter son activité vers les publications à succès que sont celles des auteurs de « vérités vraies », dits les « Vévés ». Des écrivains dont la vie se trouve souvent menacée après leurs révélations et dont Benjamin est en partie chargé de la sécurité et du bien-être. Ce qui ne l’empêche pas de jouer parfois au bouc émissaire, comme au bon vieux temps. Tandis qu’il s’occupe de la protection d’Alceste, un écrivain qui accuse ses parents adoptifs de lui avoir menti (d’où le sous-titre du livre), planqué dans sa région du Vercors, l’actualité le rattrape. Georges Lapieta, un homme d’affaires sans scrupules, ancien ministre et liquidateur d’entreprises vient d’être enlevé alors même qu’il allait empocher plus de 22 millions d’euro de parachute doré pour le remercier d’avoir supprimé quelque 8 000 postes. Depuis longtemps dans le viseur de la juge Talvern (alias Verdun Malaussène, donc), il semble que le destin de ce Lapieta doive croiser une fois encore celui de la tribu et que le retour à Belleville de Benjamin soit plus mouvementé que prévu…
Je m’en tiendrai là pour l’intrigue, avec les Malaussène les rebondissements sont si nombreux qu’on n’a même pas envie de tenter de les résumer. Pennac s’amuse, multiplie les niveaux et les angles de vue, joue avec les clichés et l’opposition entre vérité et fiction. « Qu’est ce qui m’a donné envie d’écrire, finalement, le mensonge de la fiction ou la fiction du mensonge ? » fait-il s’interroger Alceste. Si l’on retrouve la tribu avec ses anciens et ses nouveaux personnages, si le fossé des générations rappelle que le temps a passé, le propos est bien ancré dans notre époque. Le contexte évoque les excès du capitalisme et de la financiarisation, les travers d’un monde où prévaut la communication et notamment le « story telling » qui va jusqu’à pervertir les enquêtes policières plus attachées à faire prévaloir la cohérence que la vérité. Alors forcément, les critiques du Figaro n’aimeront pas plus qu’il y a trente ans tandis que l’Obs et Télérama continueront à saluer le propos gentiment anar et libertaire d’un Pennac qui assume pleinement une sorte d'appel à la résistance.
La bonne nouvelle c’est que l’ancien divisionnaire Coudrier aujourd’hui à la retraite continue à plancher sur Le cas Malaussène (illustration du coupable idéal, exemple parfait de cet « excès de cohérence romanesque » dont pâtissent les enquêtes de police) et que Alceste s’apprête à publier son second livre, Leur très grande faute… ce qui nous annonce une jolie suite (qui n'est pas encore écrite, l'auteur venant de nous avouer lors d'une rencontre délicieuse à la librairie Le Divan qu'il n'a aucune idée du contenu du second tome. Info ? Intox ? Vérité ou fiction ?... ). A suivre donc.
"Le cas Malaussène I - Ils m'ont menti"- Daniel Pennac - Gallimard - 316 pages