Qu'il emporte mon secret - Sylvie Le Bihan
Avertissement aux futurs lecteurs de Qu'il emporte mon secret : préparez-vous à une nuit blanche, ou très courte selon votre rythme car ce livre, vous ne pourrez pas le lâcher avant d'avoir déroulé jusqu'au bout le fil de cette intrigue tissée de main de maître. Une plongée rare dans l'intimité d'une femme, une confession qui prend aux tripes, une mise à nu qui ne peut laisser personne indifférent. La parole d'Hélène fait mouche, peut-être parce que nous avons l'impression de la connaître cette femme blessée, rafistolée avec les moyens du bord, mais debout.
Dans une chambre d'hôtel proche du Palais de Justice de Grenoble, Hélène attend sa comparution en tant que témoin cité au procès de Joël Domois. Un événement qui la ramène plus de trente ans en arrière et l'oblige à revivre le drame qui a brisé sa vie. Hélène avait 16 ans lorsqu'elle a été agressée et violée dans un camp de vacances où elle encadrait un groupe de jeunes en difficultés. De longs mois de convalescence pour réparer le corps mais les dégâts psychologiques, la femme de désormais 47 ans continue à les subir malgré l'apparente force qu'elle dégage. Ecrivain à succès, Hélène consomme les hommes, l'alcool et les cigarettes comme autant d'antidotes à un mal-être qu'elle tente de cacher pour mieux le nier. A 16 ans, Hélène a pris la décision d'enfouir cette nuit d'horreur au fond de sa mémoire et de l'ignorer. Pourtant, sa rencontre avec Léo, un jeune primo-romancier la bouleverse bien au-delà des sentiments qu'elle s'accorde habituellement. Une sorte de déclic qui l'incite à regarder sa vie en face et à affronter ses démons pour peut-être se donner une nouvelle chance de vivre. Elle entreprend alors d'écrire à Léo et de se raconter, sans aucun fard, suspendant le lecteur à sa plume.
Si le lecteur est tenu en haleine, c'est pour deux raisons. L'intrigue d'abord. Cette confession d'une femme obligée de ré explorer les méandres de souvenirs volontairement enfouis afin de retrouver la vérité parmi toutes celles qu'elle a érigées comme des armures, cette confession se lit comme une enquête policière. Qui est ce Joël Domois ? Quelle est son implication dans le drame ? Comment s'est-il retrouvé sur son chemin trente ans après ? Rien à dire, c'est parfaitement tenu, jusqu'à la révélation finale. Mais le charme agit aussi et surtout dans la proximité qui nait entre Hélène et le lecteur. Parce que les doutes, les dénis, les dérivatifs, les sentiments muselés, les non-dits, les incompréhensions, quels que soient les niveaux des drames auxquels ils renvoient, ce sont des maux communs à tous. Taire, ne pas s'exposer, garder pour soi... qui n'a pas été soumis un jour ou l'autre à cette injonction ? Alors imaginer ça à la puissance 10 face à l'horreur subie par Hélène...c'est dans le ventre que ça se passe.
Un livre fort qui fait en quelque sorte le procès du silence qui enferme une victime et lui impose ainsi une double peine. La parole, l'écriture apparaissent ainsi comme des moyens de retrouver la lumière et un nouvel équilibre. C'est ce que l'on souhaite à Hélène en refermant ce livre bouleversant de vérité.
"Qu'il emporte mon secret" - Sylvie Le Bihan - Seuil - 218 pages