No home - Yaa Gyasi
Incroyable. No home est un premier roman, écrit par une jeune femme de vingt-sept ans, qui réussit le tour de force de nous conter trois siècles d'histoire de l'esclavage en l'espace de 400 pages qui se dévorent avec un appétit constant. Mais ce n'est pas tout. On ressort de cette lecture en ayant l'impression de mieux comprendre l'histoire et l'actualité de la population afro-américaine qui porte les stigmates des dominations successives et continue à se confronter aux barrières qu'ont dressées ces siècles d'asservissement et de violences.
Pour cela, Yaa Gyasi met en scène deux branches d'une même lignée qui s'ignorent. Effia et Esi sont nées de la même mère dans deux villages rivaux du Ghana, sans qu'aucune des deux n'aie jamais eu connaissance de l'existence de l'autre. Nous sommes au XVIII ème siècle et le commerce des esclaves bat son plein, orchestré par le gouvernement anglais en place mais bien aidé par les rivalités tribales qui contribuent à alimenter ce commerce au gré des prises de guerre. Effia est mariée ou plutôt vendue par son père au gouverneur anglais du fort tandis que Esi est enfermée dans les caves du même fort avant d'être embarquée pour le long périple qui la conduira en Amérique avec des centaines de ses semblables. A partir de là, nous suivons, au gré des chapitres qui portent le nom de leurs descendants, chaque génération de chacune des branches, jusqu'à nos jours.
Ces chapitres d'une trentaine de pages, remarquablement dosés sont autant de moments de vies qui parviennent à saisir l'essentiel d'un contexte englobant l'universel et le personnel entre Afrique et Amérique. L'auteure parvient à éclairer à chaque étape la difficile condition d'individus qui ne se sentent plus chez eux nulle part. La descendance métisse d'Effia doit perpétuer sur son sol le terrible commerce de ses semblables tandis que celle d'Esi subit le joug des esclavagistes des plantations du Sud avant que la guerre de sécession ne la jette dans d'autres formes de violence, de ségrégation et d'asservissement. La lutte est permanente, la liberté n'est jamais acquise même lorsqu'elle est proclamée sur le papier.
J'ai beaucoup apprécié la dextérité de l'auteure pour tricoter ces quatorze chapitres qui sont autant de petites nouvelles liées les unes aux autres par un cordon ombilical, et qui dessinent au final un arbre généalogique pas très linéaire, plutôt cabossé mais dont chaque branche apporte, malgré la souffrance, sa contribution à un avenir fait d'espérance.
Encore une fois, la fiction se met au service de la compréhension du monde. Et quand c'est aussi bien fait, apprendre devient un vrai plaisir.
"No home" - Yaa Gyasi - Calmann-Lévy - 414 pages (traduit de l'anglais par Anne Damour)
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