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Illska. Le mal - Eirikur Örn Norddahl

13 Mars 2017 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Voici la parfaite illustration de l'intérêt de participer à un jury littéraire. Si je ne m'étais pas engagée dans l'aventure du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points, les chances pour que je m'intéresse à ce livre auraient été très faibles. Un roman islandais, le thème de l'Holocauste, 700 pages. J'aurais sans doute écouté mon libraire me chanter ses louanges, jeté un coup d'oeil à la quatrième de couverture, l'aurais feuilleté, soupesé... et reposé en me disant que bon... peut-être... plus tard. Aurait-ce été dommage ? Incontestablement.

Pourtant, on ne peut pas parler ici de plaisir de lecture. J'ai même été soulagée en arrivant au bout. Attention, ce n'est pas non plus une torture. Non. Simplement le sujet est si fort, l'image que ce livre renvoie de notre monde, de notre société est si terrible qu'il se lit parfois le coeur au bord des lèvres, entre fascination et colère où pointe aussi parfois une once de désespoir et de découragement. En le refermant, c'est tout de même l'admiration qui prédomine. Car l'auteur traite son sujet avec une maîtrise indéniable et offre un texte riche, une infinie matière à réflexion. Ce qu'il nous propose c'est de regarder la nature humaine au fond des yeux, dans ce qu'elle a de pire. Ce mal qui se transmet de siècle en siècle et ronge les sociétés les plus civilisées. Ce qu'on appelle nationalisme, populisme, protectionnisme, qui a généré le fascisme et le nazisme et a connu son pic de gloire avec l'Holocauste. Un mal qui n'a pas disparu.

"Les choses ne sont pas si simples. Pas si simplistes : les gens ne se résument pas à la somme de leurs expériences."

Pour dérouler son intrigue, l'auteur met en scène un curieux ménage à trois à Reykjavic dans les années 2010. Agnès, Omar et Arnor. Agnès est une jeune femme de 27 ans originaire d'un village de Lituanie qui a été le théâtre d'un certain nombre d'atrocités pendant la seconde guerre mondiale avant de tomber sous le joug communiste. Totalement obsédée par l'Holocauste, elle mène des recherches en vue de rédiger une thèse sur les populismes et l'extrême-droite en Islande. En couple avec Omar, elle tombe également sous le charme d'Arnor, l'un de ses sujets d'étude, un néo-nazi. Un véritable tsunami personnel dont l'auteur va s'appliquer à nous faire comprendre les racines par quelques incursions historiques dans le village natal d'Agnès et nous donner à voir ses ramifications dans l'Europe du 21ème siècle.

Si ce livre est aussi fort c'est certainement parce qu'il fait ressentir comme rarement que les pires atrocités sont bien commises par des hommes. Le mal n'est ni démoniaque ni un phénomène incontrôlé. Il est bien l'émanation de comportements humains. En remontant le fil historique des massacres qui se sont succédé dans le temps, en explorant les facteurs de transmission, l'auteur livre un roman unique et terrifiant. Certes, la région du monde dans laquelle se situe l'intrigue n'est pas anodine. Les pays baltes occupés tantôt par l'Allemagne, tantôt par l'URSS, l'Islande dont Hitler vantait la pureté de la race... Tout ceci a laissé des traces. Mais la contagion est bien réelle et l'auteur en fait une démonstration implacable.

Ce livre nous rappelle le poids de l'histoire, le lourd héritage que nous portons tous. D'une virtuosité inouïe, ce roman est une contribution remarquable à quelque chose qui va au-delà du devoir de mémoire, disons à l'éducation du citoyen peut-être. Pas léger, c'est sûr. Mais terriblement important.

"C'est le message de ce livre. Nous sommes le message de ce livre. Je m'efforce d'aller au coeur d'un certain nombre de choses. N'oublions pas Hiroshima, Auschwitz, Guernica, Pearl Harbour et Dresde. Si la Seconde Guerre mondiale nous a enseigné quelque chose, elle nous a appris l'oubli. A oublier de ne pas oublier. A ne pas oublier d'oublier de ne pas oublier. A ne pas laisser retomber la pâte."

"Illska. Le mal" - Eirikur Örn Norddahl - Points (Métaillié) - 696 pages (magistralement traduit de l'islandais par Eric Boury)

 

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E
un livre auquel je n'ai pas absolument pas accroché! je ne me suis pas attachée aux personnages, et j'ai ressenti un grand ennui en le lisant...une rencontre complètement ratée!
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N
C'est sûr, on , n'est pas vraiment dans le plaisir de lecture, c'est même assez éprouvant et je conçois très bien que l'on n'accroche pas et même que l'on n'aille pas au bout. Une fois arrivée au bout (avec soulagement) j'étais quand même contente de l'avoir lui, il résonne encore beaucoup...
P
Plusieurs commentaires :<br /> - quelle chance de faire partie de ce jury de lecteurs. J'ai tenté ma chance, en vain !<br /> - c'est aussi le grand mérite de suivre des blogs comme le tien ; vu le nombre de pages, je serais peut-être passé à côté. Je viens de le noter dans mon carnet <br /> - je suis très sensible à ce thème de la "banalité du mal" ; il ne faut jamais baisser la garde. Et on peut être redevable à la littérature de nous y aider.
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N
- Alors il faudra retenter, ça ne marche quasiment jamais du premier coup :-)<br /> - Et c'est exactement ce que je me suis dit lorsque j'ai hésité à chroniquer ce livre : il faut absolument donner envie à d'autres de le lire, même si ce n'est qu'à une seule personne ce sera bien parce que ce type de littérature est tellement utile !<br />
Z
Oui, Métailié offre de belles oeuvres. Je note
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N
Exact, un éditeur dont les choix sont souvent intéressants, notamment pour les auteurs d'Amérique du sud et de Scandinavie.
M
Un certain point de vue de la seconde guerre mondiale. Intéressant !
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N
Une vision qui englobe le monde en fait. Intéressant oui et terrifiant.