Dans une coque de noix - Ian McEwan
Il est comme le bon vin, Ian McEwan, il se bonifie d'année en année. Ce qui ne veut pas dire que son dernier roman est meilleur que les autres mais simplement que l'auteur peut désormais tout se permettre tant sa maîtrise est grande. Comme de rejouer Hamlet par la voix d'un fœtus et de nous offrir ainsi une vision du monde aussi féroce que comique en parvenant à mâtiner son pessimisme d'une touche d'ironie. Quitte à faire pleurer autant se moquer...
"Tout le monde ne sait pas quel effet ça fait, d'avoir le pénis du rival de votre père à quelques centimètres de votre nez. Si tard dans la grossesse, ils devraient réfréner leurs élans par égard pour moi. La courtoisie, à défaut de discernement médical, l'exige. Je ferme les yeux, serre les gencives, me recroqueville contre la paroi utérine. Ces turbulences arracheraient les ailes d'un Boeing."
Vous vous souvenez, vous de ces neuf mois passés dans le ventre de votre mère ? Notre héros, qui n'a pas encore de prénom puisqu'il n'est pas encore né semble avoir mis à profit ces quelques mois pour s'enrichir d'une connaissance du monde qui le prépare à une vie plus compliquée qu'il ne l'aurait pensé. Sa mère, Trudy étant une adepte des émissions culturelles, scientifiques et d'actualité à la radio, il en sait déjà beaucoup sur les différents Etats, les inégalités, les menaces climatiques, les guerres, les querelles religieuses et autres réjouissances qui l'attendent. Mais il en a également beaucoup appris sur la nature humaine puisque sa mère trompe son père avec le frère de celui-ci, Claude et que les deux amants projettent d'assassiner le mari afin de mettre la main sur sa seule richesse, une maison certes délabrée mais estimée à plus de sept millions de livres. Ca vous rappelle quelque chose cette histoire ? Imaginez dans quel état se trouve notre héros, témoin des passions violentes qui agitent sa famille, au courant de tout mais sans aucune possibilité d'intervenir. A moins que...
Il s'en donne à cœur joie Ian McEwan. Il a dû étudier avec minutie le comportement d'un fœtus au cours des mois, ses positions, les étapes de son développement, les différentes interactions avec le corps nourricier et transmetteur de sa mère. Du coup, on y croit sans problème. Et il y a de quoi être horrifié en découvrant la laideur de ce qu'un être encore pas tout à fait né peut percevoir de notre monde. Et qui pourtant tient à prendre la part de vie qui lui est dévolue. Même si c'est moche et que les perspectives sont pires encore.
Tout comme Jonathan Coe l'a fait avec Numéro 11, Ian McEwan n'hésite pas à convoquer le surnaturel ou plutôt à tordre quelque peu le réel pour nous offrir le décalage nécessaire pour une meilleure appréhension du monde. C'est noir, féroce, mordant. C'est brillant, comme d'habitude.
"Dans une coque de noix" - Ian McEwan - Gallimard - 212 pages (traduit de l'anglais par France Camus-Pichon)