Celle qui fuit et celle qui reste - Elena Ferrante
C'est incroyable, plusieurs mois ont passé depuis que j'avais laissé Lenu et Lila après un fantastique deuxième volet de leurs aventures napolitaines et c'est tellement facile, tellement évident de les retrouver comme si nous nous étions quittées la veille. C'est certainement ici que se loge le talent d'Elena Ferrante. Nous rendre ses deux héroïnes tellement proches, nous donner envie de continuer à explorer leur intimité comme si elles étaient nos soeurs. Lorsque je lis d'autres billets de blogs concernant cette saga, je vois que certains préfèrent l'une ou l'autre des deux amies... moi c'est leur duo qui me fascine, peut-être parce qu'une telle relation m'a toujours fait à la fois envie et peur.
Dans ce troisième volet, les deux femmes continuent leurs vies parallèles. Elena surfe sur la vague du succès de son roman et fait l'apprentissage de la vie conjugale en épousant Pietro Airota, puis de la maternité. Lila vit toujours avec Enzo et Gennaro le fils qu'elle a eu avec Nino Sarratore. Son travail à l'usine ne l'empêche pas de s'intéresser de près aux cours du soir que prend Enzo pour s'initier à l'informatique. Nous sommes dans les années 70, les consciences politiques des deux jeunes femmes s'éveillent au contact des intellectuels pour Elena, à celui des syndicats pour Lila. Les courants féministes et communistes irriguent la décennie mais la vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Elena s'est extraite de son milieu mais sans oublier pour autant ses années d'enfance qui ont forgé son parcours. Quant à Lila, son caractère toujours aussi entier la pousse dans des directions de plus en plus surprenantes. Si les deux amies ne se voient que très rarement, le lien qui les attache les ramène toujours l'une vers l'autre, comme si elles ne pouvaient pas réellement vivre sans le regard de l'autre, fut-il lointain.
C'est le temps des questionnements, des regrets et des désillusions. Mais aussi le temps du renouveau et de l'espoir. C'est la vie qui passe, dépose ses cadeaux et les reprend sans crier gare avant de laisser miroiter de nouveaux bonheurs. Elena et Lila fonctionnent comme l'ombre et la lumière, comme le soleil et la lune, aussi différentes que complémentaires. L'une inspire l'autre mais l'énerve aussi. Elles s'aiment et se détestent. Elles s'admirent et se jalousent. Le caractère passionné de Lila se heurte à celui non moins déterminé de Lenu. Et toujours, toujours, leur amitié se tisse depuis les fils qui prennent leur source dans les histoires de leur enfance. C'est fascinant.
"C'est peut-être la dernière fois que je parle de Lila avec une telle richesse de détails. Par la suite, elle est devenue toujours plus fuyante, et le matériau à ma disposition s'est appauvri. La faute aux divergences de nos vies, la faute à notre éloignement. Et pourtant, même lorsque je vivais dans d'autres villes et nous ne nous voyions presque jamais, même lorsqu'elle ne me donnait pas de nouvelles comme d'habitude, et que je m'efforçais de ne pas lui en demander, son ombre me stimulait, me déprimait, me gonflait d'orgueil ou m'abattait, sans jamais me permettre de trouver l'apaisement".
Elena Ferrante anime cette galerie de personnages avec une incroyable dextérité au point qu'on n'a presque pas besoin de se référer au lexique de début de volume qui rappelle le détail et l'historique des différentes familles. Elle croise et décroise les trajectoires sans laisser aucun répit aux protagonistes, faisant des perdants d'hier les vainqueurs de demain et offrant à ses deux héroïnes de multiples occasions de rebondir. Comment ne pas tourner avidement les pages ?
Bref, cette saga est l'incarnation parfaite du mot "addictif". Le dernier volume est annoncé pour octobre et je suis partagée entre hâte de le lire et regret d'en finir. Je ne sais pas qui est Elena Ferrante mais ce que je sais c'est qu'elle est une sacrée romancière.
"Celle qui fuit et celle qui reste" - L'Amie prodigieuse III - Elena Ferrante - Gallimard - 480 pages (traduit de l'italien par Elsa Damien)
Les chroniques du tome 1, L'Amie prodigieuse et 2, Le nouveau nom.
En mai, c'est le mois italien !