Suburra - Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo
Moi qui ne suis jamais allée à Rome (le destin est contre moi, mais c'est une autre histoire), j'ai suivi sans peine le conseil de mon libraire lorsque j'ai cherché un polar italien pour honorer le rendez-vous prévu aujourd'hui. Rome : capitale de la mafia, un sous-titre évocateur pour se mettre en appétit. Un duo d'auteurs formé par un journaliste d'investigation à La Repubblica grand connaisseur des milieux politiques et un magistrat à la cour de Rome ayant déjà commis nombre de romans noirs, il n'en fallait pas plus pour me convaincre.
Et la balade fut mouvementée, à la hauteur de mes attentes. Je lis assez peu de romans noirs mais j'ai tout de suite plongé dans celui-ci qui développe une impressionnante galerie de personnages. Au coeur de l'intrigue, l'opposition entre deux hommes puissants : Samouraï, l'un des mafieux les plus puissants et les plus mystérieux de la région romaine et le lieutenant-colonel Marco Malatesta. Dans sa jeunesse, pendant un laps de temps très court, Malatesta fut le disciple de Samouraï au sein de groupes d'inspiration néo-fascistes avant de se rebeller et d'entrer dans la police. Un passé commun qui n'est pas sans influence sur la relation ambigüe entre les deux hommes désormais face à face.
"Nous et eux. Nous et eux. Dans quelle mesure toute cette saloperie dépendait-elle de notre faiblesse ? De notre désir de ressembler à ceux que nous disons vouloir combattre et qu'en réalité nous admirons ? Et qu'est-ce que nous admirons en eux ? La liberté ? L'absence de préjugés ? La vie de merde qu'ils mènent ? Voilà une dynamique qu'il connaissait bien. Au fond, tant qu'il n'avait pas décidé de s'en retirer, ça avait été son histoire."
A Rome, Samouraï a de grands projets. Transformer le littoral en un gigantesque Atlantic City, promesse de gains mirifiques et de règne incontesté. Il lui faut simplement parvenir à faire tenir tranquilles les différentes familles qui s'affrontent régulièrement pour quelques arpents de territoire. Pour le reste, tout semble sous contrôle. Députés corrompus pour pousser le projet et obtenir les permis de construire. Journalistes à la botte. Des ramifications jusqu'au sein du Vatican dont l'évêque Tempesta est la figure de proue, vitrine factice d'un volet social du projet destiné à amadouer les décideurs. Mais c'est sans compter sur le petit grain de sable qui ne manque jamais de dérégler une machine bien huilée. En l'occurrence, le petit service que le député Malgradi demande à la mauvaise personne lorsque l'une des prostituées avec lesquelles il occupe une suite d'hôtel décède d'une overdose...
Pas de code d'honneur ici, on plonge directement dans ce qu'il y a de plus pourri au royaume des hommes. On élimine, on piège, on asservit. Le lecteur est transporté certes dans les rouages de la mafia qui recrute ses sbires parmi les mouvances fascistes et les nostalgiques du nazisme, mais également dans les coulisses politiques bien contaminées elles aussi par une infection difficile à éradiquer. Un contexte qui sonne terriblement vrai, montrant l'inertie des forces de l'ordre minées par la corruption et le manque de moyens de groupes altermondialistes tentant de lutter contre la pieuvre. Mais la réussite du livre tient vraiment à ses seconds rôles. Chaque personnage apporte sa touche à un tableau d'ensemble saisissant. De la prostituée en fuite qui se recase avec un producteur de cinéma au fils malheureux d'un entrepreneur réduit à servir ceux-là même qui ont poussé son père au suicide. De la passionaria rebelle prête à risquer sa vie pour défendre la cause du peuple à l'ébéniste talentueux, émigré iranien et résistant majestueux. Et j'en passe... Tous contribuent à la réalisation de cette fresque sanglante et dramatique qui nous offre un final à haute dose de testostérone.
L'impression de visiter Rome par les égouts en quelque sorte. D'ailleurs j'ai vraiment regretté de ne pas connaître la ville car les descriptions des quartiers sont si précises qu'on aimerait les matérialiser par des images. Disons que, le jour où j'y mettrai les pieds, je ne la verrai peut-être pas simplement à l'aune des cartes postales touristiques. Quant au quartier de Suburra ...
"Suburra, image éternelle d'une ville incurable. Demeure d'une plèbe violente et désespérée qui des siècles auparavant s'était faite bourgeoisie et qui occupait le centre géographique de la ville. Parce qu'elle en était et en restait le coeur."
"Suburra" - Rome : capitale de la mafia - Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo - Métailié (Points) - 516 pages (traduit de l'italien par Serge Quadruppani)
En mai, c'est le mois italien !