Seules les bêtes - Colin Niel
Plus qu'un polar, ce livre est une atmosphère, un tissu de sensations fait de multiples éléments piochés dans un environnement brut, dépouillé, où affleurent des individus mis à nu. Des coeurs blessés, des âmes solitaires, des solitudes vaines. Colin Niel bâtit un roman choral où les pièces du puzzle viennent s'imbriquer au fur et à mesure sans pour autant ôter au lecteur un sentiment de malaise devant ce que l'image finale révèle d'une nature humaine aux prises avec l'immensité de la solitude.
La solitude. En fait c'est elle l'héroïne de ce polar à l'ambiance rurale, où souffle le vent violent du sommet du causse désertique qui se mêle parfois aux courants chauds venus de beaucoup plus au sud, du désert africain. Un vent qui balaie les illusions, aux quatre coins d'un monde devenu aussi petit qu'un ancien quartier. Sur le causse, quelque part en France, au milieu des brebis, Evelyne Ducat a disparu. Partie randonner, elle n'est jamais revenue, sa voiture abandonnée à l'entrée du village. Qu'est-il arrivé à cette femme a priori sans histoires, épouse d'un riche homme d'affaires récemment revenu s'installer dans sa région d'origine ? Tour à tour, quatre protagonistes vont prendre la parole. Ils ignorent tout les uns des autres, ne savent même pas quel rôle ils ont joué dans la succession d'événements qui ont conduit à cette disparition... Et la mécanique du récit fonctionne si bien qu'on ne lâche rien avant d'avoir le fin mot de l'histoire.
Mais avant, le voyage vaut le détour. Chacun de ces personnages se consume de solitude et meurt à petit feu. Alice, l'assistante sociale qui tente de venir en aide aux agriculteurs chaque année de plus en plus désespérés, et qui elle-même se désespère de trouver si peu d'écoute dans son propre foyer. Joseph l'agriculteur, isolé sur le plateau désert du causse avec ses brebis pour seule compagnie et un désespoir qui creuse un peu plus son sillon chaque soir. Maribé, la petite bourgeoise parisienne qui fuit son milieu et ses échecs, en quête d'un peu d'authenticité, de chaleur, d'amour. Et puis Armand, là-bas en Afrique, qui pour les beaux yeux de Monique est prêt à toutes les magouilles.
La solitude, oui. Pour la chasser, on serait prêt à tout. Car elle est subtile, la garce. Elle vous mange le cerveau, elle vous ferme les yeux, elle vous donne des hallucinations. Une sorte de malédiction, un engrenage incontrôlable. Et un matériau que Colin Niel travaille à merveille pour nous dresser un aperçu d'un monde qui est le nôtre, oui, un monde dont il perçoit la fragilité des êtres broyés par la misère matérielle ou sentimentale. Il en fait un roman fort convaincant, au-delà de l'intrigue policière. Une belle découverte.
"Seules les bêtes" - Colin Niel - Rouergue Noir - 214 pages
Prix Landerneau des lecteurs 2017 dans la catégorie Polar.