Le livre que je ne voulais pas écrire - Erwan Larher
"La littérature n'arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être. Il faut tenter le pari."
Est-ce la raison pour laquelle Erwan Larher s'est finalement décidé à prendre la plume ? Peut-être. Parmi d'autres. Depuis ce fatal 13 novembre 2015, il raconte lui-même que les sollicitations n'ont pas manqué pour le faire témoigner, lui, le "rescapé du Bataclan". Mais que dire quand on se demande toujours ce qui est arrivé ? Quand son sort lui semble si enviable en comparaison de ceux qui y ont laissé la vie, ceux qui ont perdu un proche ou une partie d'eux-mêmes ? Heureusement, Erwan Lahrer est aussi romancier. Et il s'est dit que peut-être, le romancier qui vit avec lui pouvait tenter de livrer, quoi ? Un témoignage ? Une réflexion ?... Mieux que ça en fait. Une histoire. La sienne mais surtout la nôtre. Nous qui nous souviendrons toujours, comme lors de chaque événement important ou traumatisant ce que nous faisions cette nuit-là.
Erwan Larher appelle ça un objet littéraire. Pourquoi pas ? Pour moi cela restera l'un des textes les plus émouvants, les plus justes et les plus réconfortants qui seront passés entre mes mains. Emouvant parce que l'écrivain se met à nu, crie son désarroi, ne cache rien de ses souffrances. Juste ensuite, parce qu'il replace sans aucune outrance chaque protagoniste à sa place, dans la grande confrérie des hommes qui ne savent pas toujours ni vivre ensemble, ni accepter les différences mais sont aussi capables de grandeur. Réconfortant enfin, parce qu'il tisse une fabuleuse toile humaine en associant à ses mots ceux d'une douzaine de proches, amis, famille, et que cette farandole agit comme un cocon d'amour et de tendresse dans lequel on rêverait de se lover.
C'est une histoire qui commence par "Tu écoutes du rock" et qui finit par "... mon amour". Erwan Larher raconte cette soirée du 13 novembre par le son, celui d'un concert de rock qui est vite remplacé par le son des rafales, les hurlements et puis, plus tard, celui des sirènes des ambulances. "Les HURLEMENTS. Pas stylisés, pas tarantinesques. Le sang poisse vraiment. La mort sent vraiment. Les détonations pas en Dolby Surround déchiquètent projets d'avenir et bien-pensance." Le résultat : une balle de Kalachnikov dans la fesse. Le comble pour celui dont le roman en cours, déjà sous forme d'épreuves s'intitule Marguerite n'aime pas ses fesses. Si les mots prêtent à rire, la réalité, les souffrances endurées, les suites opératoires et les craintes pour son intégrité physique font rapidement refluer les ricanements dans les gosiers.
Et puis le temps de réfléchir... Pourquoi ? Comment ? Tous ceux qui ont un jour échappé à un grave accident (crash d'avion, catastrophe ferroviaire...) parce qu'un aléa de dernière minute les avait empêché d'embarquer se sont posé cette question : qu'est-ce que ça veut dire ? Chance ? Destin ? Un coup des Parques décide Erwan... Une épreuve en quelque sorte. De quoi donner un peu de grain à moudre à l'écrivain.
Si Erwan Larher ne se cache jamais derrière son petit doigt (ou son stylo), il ne cède jamais non plus au ressentiment ou à la colère. Il interroge, il tente d'imaginer ce qui se passe dans la tête d'un mec qui débarque dans une salle de concert pour faire un carnage. Il laisse l'écrivain faire son travail, dessine ses personnages et choisit de croire que Lachésis a finalement agi quelque part dans son intérêt... Histoire d'offrir un happy end. Et de garder espoir.
C'est fort, très fort. A travers ce récit, c'est de nous dont il s'agit, que nous ayons été de près ou de loin concernés par cette funeste soirée. Mais ce qui transparait au fil des mots, c'est le portrait de l'homme derrière l'écrivain. Un portrait tracé au fil des textes de ses proches qui sont parfois aussi des auteurs. Des mots qui révèlent la belle relation qu'Erwan Larher entretient avec le monde. Alors, si on a envie de lire encore très souvent les romans de l'écrivain, moi, c'est l'homme qui est derrière que j'aurais très envie de connaître. Un sacré mec on dirait. Et qui a bien fait de l'écrire, ce livre.
"Le livre que je ne voulais pas écrire" - Erwan Larher - Quidam - 260 pages
Je vous conseille également de lire les très belles chroniques de Charlotte et de Sabine, auxquelles la proximité avec l'auteur a inspiré des mots uniques.