Un certain M. Piekielny - François-Henri Désérable
Ce billet est la preuve qu'une bonne rencontre vaut bien tous les articles de presse... Ce roman, je lui tournais autour depuis la rentrée, tentée par quelques bons échos glanés ici ou là mais inquiète quant au thème, Gary, un auteur que j'ai très peu lu... Il y a des blocages parfois, on ne sait pas pourquoi. Des auteurs qui ne nous tentent pas. Gary en fait partie, en tout cas jusqu'à maintenant. Alors un roman autour de Gary ?... Toujours pas décidée à la mi-novembre (la date a son importance parce que bientôt c'est la rentrée de janvier, on va passer à autre chose, faut pas trainer...), je décide d'aller écouter l'auteur qui a la gentillesse de se déplacer jusqu'à Boulogne à la librairie Les mots et les choses (qui décidément sait y faire pour attirer les talents). Sacrément convaincant le bougre ! (surtout qu'il a passé une bonne partie de la soirée à convaincre l'auditoire de repartir aussi avec le bouquin d'Erwan Larher... mais c'est une autre histoire). Je repars avec le roman, me dépêche de finir celui que j'avais en cours et me retrouve à dévorer d'une traite ce récit brillant et ludique aux multiples facettes. J'avais encore dans les oreilles la voix de François-Henri Désérable qui présente la particularité de parler comme il écrit (ce qui est différent d'écrire comme il parle) ce qui rend son récit oral aussi captivant que l'écrit.
"Alors qui était-il ce M. Piekielny, et que savait-on de lui ? Google ne disait rien et Gary pas grand-chose - et le peu qu'il disait n'était peut-être pas vrai : chaque paragraphe de la Promesse est sujet à caution. Mais si le paléontologiste n'ayant en tout et pour tout que l'humérus et deux vertèbres peut reconstituer le dinosaure, que ne pouvais-je en faire autant avec une souris ?"
Pour ceux qui, comme moi n'ont pas lu La Promesse de l'aube, il convient d'expliquer que M. Piekielny apparaît très brièvement dans cette autobiographie écrite par Romain Gary dans une scène où, décrit très succinctement comme une "souris triste" il fait promettre au petit Roman, auquel sa mère prédit un grand avenir en prenant tout le monde à témoin, de ne pas oublier de dire à chaque grand de ce monde qu'il rencontrera que "au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny". Le romancier explique dans ce même livre qu'il ne manqua jamais d'honorer cette promesse. Alors lorsque François-Henri Désérable se trouve par hasard devant ce fameux immeuble à Vilnius en Lituanie (ex Wilno), l'envie lui prend de partir sur les traces de ce petit homme... Commence alors une quête à la fois littéraire, historique et introspective où se mêlent fiction et réalité, pour le plus grand plaisir du lecteur.
C'est un voyage sur les traces de Gary bien sûr, au plus près de ses racines ancrées dans une ville que l'on appelait la Jérusalem de l'Est et qui a été vidée de ses dizaines de milliers d'habitants juifs dont les traces ont été effacées. C'est une interrogation passionnante sur le lien entre fiction et réalité, sorte de cercle vertueux et infini d'où jaillit l'inspiration. C'est une enquête sur l'auteur lui-même et cette passion qu'il éprouve depuis toujours pour Gary et son œuvre. Tout ceci dans une langue élégante, terriblement agréable, qui s'autorise le clin d'oeil comme une reprise d'élan. Et puis, et puis... c'est une déclaration d'amour à la littérature, à la puissance qui guide le travail de l'écrivain, à la force qui le pousse sans cesse à raconter des histoires. Au pouvoir ultime de témoigner, de faire renaître et de laisser des traces.
Bien inspirée je fus ce soir-là de m'en aller écouter M. Désérable... je m'en serais voulu de rater un si bon moment de lecture. Et j'espère convaincre ceux qui hésiteraient encore.
"Un certain M.Piekielny" - François-Henri Désérable - Gallimard - 264 pages
Il est aussi arrivé un peu par hasard sous les yeux de Delphine, dont l'enthousiasme devrait être tout aussi communicatif que le mien :-) ; Joëlle a également succombé.