My Absolute Darling - Gabriel Tallent
Je me méfie souvent des "phénomènes littéraires" annoncés à grand renfort de trompettes et de recommandations d'écrivains célèbres (en l'occurrence ici Stephen King) mais disons que lorsque la maison d'édition s'appelle Gallmeister, j'ai tendance à faire fi de mes réticences. Et là, je dois dire que j'ai bien fait ! Oh que oui ! My Absolute Darling fut une lecture choc, intense. Et Julia - Turtle - Croquette restera une figure inoubliable, une héroïne fascinante, vibrante avec laquelle on entre tout de suite en empathie et pour laquelle l'intérêt, l'inquiétude, la tendresse ne faiblissent pas tout au long du livre et des terribles épreuves qui jalonnent son parcours.
Julia Alveston a quatorze ans et vit seule avec son père, Martin depuis le décès de sa mère alors qu'elle n'était qu'une enfant. Une maison plutôt délabrée, rafistolée avec les moyens du bord dans une région de la côte encore sauvage de la Californie du nord. Surnommée Croquette par Martin, Julia préfère qu'on l'appelle Turtle même si elle se révèle peu encline aux relations humaines. Elle traine sa mine renfrognée et son accoutrement d'enfant sauvage à la tignasse emmêlée dans sa classe de collège où, malgré l'intérêt que lui porte Anna, son jeune professeur, elle affiche une mauvaise volonté évidente. Elle préfère de loin les balades dans la forêt ou sur les versants escarpés qui bordent l'océan. Et l'on découvre peu à peu la relation d'amour et de haine qui lie Turtle à son père. Martin est un obsédé des armes, un survivaliste persuadé que le monde court à sa perte et que seuls les plus forts s'en sortiront le moment venu. Alors il ne cesse d'entrainer sa fille à survivre, à surmonter la douleur autant physique que psychologique et bien sûr à manier les armes. Turtle est une experte et passe plus de temps à vider des chargeurs qu'à apprendre ses listes de vocabulaire. Autour d'eux, on s'inquiète un peu de cette relation exclusive et cette façon peu orthodoxe d'élever une jeune fille mais sans vraiment trop y regarder. Seul le lecteur est peu à peu mis dans le secret de la réalité des monstruosités endurées par Turtle. Seul le lecteur a accès également à l'esprit de la jeune fille, tiraillée entre l'amour qu'elle porte à son père et la violence à laquelle elle doit faire face chaque jour. Jusqu'à ce qu'un grain de sable vienne changer la donne. Lors d'une de ses escapades dans la nature, Turtle rencontre Jacob. Pour la première fois, elle a envie d'être avec quelqu'un d'autre. Pourtant, elle le sait : cette relation pourrait les mettre tous les deux, Jacob et elle en très grand danger.
L'auteur ne laisse aucun répit à son lecteur même si ce n'est pas lui le plus à plaindre, installé confortablement dans son fauteuil pendant que Turtle lutte pour sa vie et celles de ses amis. Il parvient à insuffler à son livre une force inouïe grâce à la façon dont il déroule son intrigue bien sûr mais surtout à la façon dont il s'attache à dépeindre l'avancée psychologique de Turtle face à la folie de plus en plus meurtrière de Martin. Une jeune fille entraînée à survivre par celui-là même contre lequel elle va devoir se défendre, celui qui l'attire en même temps qu'elle sait devoir le fuir. On sait très vite que l'élève va devoir surpasser le maître pour s'en sortir.
On passe par tous les états en lisant ce livre. La révolte, l'horreur, l'envie de traverser les pages pour aller aider Turtle. Mais pas seulement. On est sous le charme des pages superbes qui décrivent l'osmose entre Turtle et la nature qui l'entoure, comme si elle y puisait des ressources infinies. On ne peut s'empêcher de faire le lien avec l'actualité des Etats-Unis liée à la circulation des armes et aux massacres qui en découlent. L'auteur déroule son fil et sa logique jusqu'au bout, montre jusqu'où mènent les comportements violents et les doctrines qui les encouragent. Pourtant, la figure de Turtle émerge en permanence. Celle de l'innocence bafouée où résiste néanmoins l'étincelle d'humanité et d'amour nécessaire pour ne pas sombrer complètement.
Oui c'est un phénomène ce roman. Un p...n de roman avais-je envie de dire en le refermant. Il me hante depuis que je l'ai terminé. Je suis quasiment certaine qu'on n'a pas fini d'en entendre parler même si certaines âmes sensibles préfèreront s'abstenir.
Plus qu'un coup de cœur, un coup au cœur, un électrochoc, un uppercut à l'estomac.
"My Absolute Darling" - Gabriel Tallent - Gallmeister - 456 pages (traduit de l'américain par Laura Derajinski)
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