La gouvernante suédoise - Marie Sizun
C'est un roman tout en clair-obscur... une atmosphère teintée de sépia, comme ces vieilles photos de famille que l'on retrouve un jour dans un tiroir sans trop savoir qui sont les individus qu'elles ont immortalisés. C'est une reconstitution. Une envie de redonner vie à des êtres figés sur le papier, de remonter le fil du temps et de leur histoire...
Une histoire qui démarre en 1867 à Göteborg, par la rencontre entre la très jeune Hulda, benjamine d'une famille bourgeoise et Léonard Sézeneau, un français alors quadragénaire qui vient tout juste de s'établir en Suède avec sa femme anglaise, effacée et maladive. Il donne des conférences et des cours de français, est ainsi introduit dans la bonne société et séduit Hulda. Scandale vite effacé par un mariage, une installation à Stockholm, une situation dans le commerce des vins de Bordeaux trouvée par le beau-père et la naissance de deux beaux enfants. Hulda est heureuse, comblée même et finit par accepter d'engager une gouvernante pour lui déléguer l'éducation des enfants. Ce sera Livia, la fille d'un acteur de théâtre récemment décédé et désireuse d'échapper à l'emprise de son frère et de sa mère. Livia qui se débrouille merveilleusement bien là où Hulda se sent si incapable ; Livia qui sait se faire respecter du personnel et aimer des enfants. Livia qui devient peu à peu indispensable à toute la maisonnée. Et qui embarque avec la famille lorsque les affaires de Léonard le contraignent à s'installer en France. En découvrant la maison de Meudon, loin de la ville et du confort auquel elle était habituée en Suède, Hulda laisse libre cours à sa tendance dépressive et mélancolique. Tandis que Léonard se fait de plus en plus taciturne, multiplie les voyages d'affaires, laissant sa jeune épouse désemparée et livrée à l'ennui. Autour, tous s'interrogent. Que se passe-t-il réellement dans ce trio ? Quel est le rôle de Livia et quel secret cache Léonard ?
Oui, c'est un roman tout en clair-obscur, dans des pièces que l'on imagine éclairées à la bougie et où l'on scrute avec intérêt les moindres signes d'émotion sur un visage. Marie Sizun excelle dans l'expression au plus près des sentiments. L'attente, la crainte, l’exaltation, la peine... sous sa plume, on vibre à l'unisson de ses personnages. Elle nous rend palpable la solitude qui étreint Hulda, loin de sa famille, seule le plus souvent, sans explication de la part de son mari et sans repères ni beaucoup de moyens ni d'intendance. Lorsque Livia écoute depuis sa chambre les bruits de la maison, tendue vers les mouvements de celui qu'elle espère, on tressaille avec elle.
Marie Sizun redonne ainsi vie à ses ancêtres dont elle ne connait que les noms, une partie de l'histoire et quelques photographies jaunies. D'un secret de famille elle nous livre un roman splendide, tout en finesse et en empathie pour ses acteurs. Les voiles ne seront pas levés, les mystères demeurent mais on aura effleuré la vérité des êtres. En beauté, qui plus est.
"La gouvernante suédoise" - Marie Sizun - Folio (Arléa) - 310 pages