Le coeur converti - Stefan Hertmans
Voici sans doute ma plus jolie surprise de l'année, ce roman choisi pour sa superbe couverture et les quelques lignes qui, au dos, laissaient espérer une histoire passionnante à une époque, le Moyen-Âge, où l'épique le dispute au romanesque. C'est ainsi que j'ai découvert une plume talentueuse, riche et évocatrice, mise au service d'un récit aussi haletant qu'émouvant, qui s'attache à faire revivre les protagonistes d'une histoire dont les échos résonnent encore à travers les âges, à qui sait écouter ce que les vieilles pierres ont à raconter.
Car le livre de Stefan Hertmans est le fruit d'une véritable quête historique qui fournit la matière Ô combien romanesque à l'écrivain qui se passionne soudain pour ceux qui, mille ans avant lui ont foulé les sols pierreux de Monieux, le village de Provence où il a ses habitudes. C'était à la fin du XIème siècle, les peurs liées au changement de millénaire semblaient oubliées, pourtant, il a suffi de souffler sur quelques braises pour rallumer les rancœurs et les haines nourries par les querelles religieuses. Dans ce village de Monieux, deux amoureux pourchassés ont trouvé refuge. A leurs trousses, des chevaliers normands chargés par le père de la jeune Vigdis de la ramener à Rouen. Son crime ? Être tombée amoureuse de David, un jeune étudiant juif à la yeshiva de Rouen. Autant dire qu'ils ont mal choisi leur moment, à l'aube des premières croisades qu'un pape désireux d'asseoir son pouvoir initie au nom de la guerre sainte, l'un des premiers concepts marketing de l'histoire... Alors que çà et là, des équilibres s'étaient peu à peu installés, que les communautés cohabitaient sans trop de heurts, voilà que les vieilles stigmatisations reprennent et que les boucs émissaires sont, une nouvelle fois tout trouvés. A Monieux, David et Vigdis devenue Hamoutal par son mariage et sa conversion vont se trouver sur le chemin des croisés en route vers Jérusalem, un épisode terrible, monstrueux, un de plus et malheureusement pas le dernier, comme nous le savons désormais du haut de notre XXIème siècle.
L'auteur s'attache avec un soin qui mêle habilement précision et souffle à marcher dans les pas du jeune couple, puis d'Hamoutal dont le destin est assez incroyable pour l'époque, de Rouen aux rives du Nil en Egypte, en passant par Narbonne. Inspiré par des documents miraculeusement retrouvés dans la genizah d'une synagogue, l'auteur reconstitue leur parcours, recrée les décors de l'époque, tente de retrouver les chemins qu'ils ont empruntés là où les paysages ont été modifiés par des siècles d'urbanisation. Il recrée surtout le contexte, l'ambiance de l'époque avec une précision d'historien, sur lesquels il greffe le roman tragique de ces deux amoureux pris dans l'étau de l'intolérance et de la bêtise. Et d'où émerge un magnifique portrait de femme.
Ce qui résonne, à travers cette lecture, c'est le poids de l'Histoire que nous semblons piétiner en trottinant sans plus y penser dans les ruelles médiévales des villages touristiques ; ce qui résonne encore c'est cette tristesse de s'apercevoir que l'Histoire bégaye, radote, que mille ans après, d'autres villages et d'autres pierres regorgent des douleurs d'agonie de milliers d'autres victimes pour des motifs tellement similaires.
Non seulement ma lecture a été belle, captivante et enrichissante mais j'ai découvert un auteur que je ne suis pas près de lâcher (pour commencer je vais me mettre tout de suite en quête de son premier roman, Guerre et Thérébenthine).
"Le coeur converti" - Stefan Hertmans - Gallimard - 370 pages (traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin)