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La Guerre littéraire - Didier Jacob

10 Février 2019 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

J'ai toujours adoré lire les critiques littéraires, bien longtemps avant d'avoir même l'idée de tenir un blog (et loin de moi l'idée de me comparer à un critique littéraire). A une époque où la presse était encore reine et où certaines plumes pouvaient décider du sort d'un livre, l'exercice était autrement plus savoureux que ce que l'on y trouve actuellement, qui tient plus de la recension ou du résumé. Internet a d'un côté affaibli le pouvoir de la presse, d'un autre côté démocratisé le simple fait de chroniquer ou de donner son avis. Ce n'est pas une critique, juste un constat. Plus de "like" et moins d'esprit. Plus de "coups de cœur" et moins de férocité voire de méchanceté. J'avoue avoir parfois la nostalgie des affrontements à coups de plumes que l'on pouvait lire au 19ème siècle lorsque les écrivains eux-mêmes jouaient les critiques et ne s'épargnaient guère. Un exercice intellectuel assez jubilatoire. Autre chose qu'un face à face avec Yann Moix ou Christine Angot chez Ruquier. D'ailleurs, l'auteur en donne un excellent et savoureux exemple en exergue avec cet avis de Gustave Flaubert : "Chateaubriand : surtout connu par le beefsteak qui porte son nom".

Alors quand mes yeux se sont posés sur ce recueil qui dormait sur une de mes étagères depuis une dizaine d'années (il n'est jamais trop tard), j'y ai vu l'occasion de renouer avec la saveur des vrais méchants. Didier Jacob tient un blog sur le site de l'Obs depuis 2004 et il rassemble ici une sélection de ses billets jusqu'à l'année 2008, dans lesquels il tente de perpétuer la tradition. A l'époque, cela s'appelait "Rebuts de presse", tout un programme. Dans son avant-propos, l'auteur prévient : "La Guerre littéraire n'est ni un réquisitoire ni un manifeste. C'est la description minutieuse, scrupuleuse, de la vie quotidienne dans cet étrange pays de Saint-Germain-des-Prés où l'on vit au rythme des prix et des élections à l'Académie, des rentrées littéraires et des meilleures ventes en librairie. Depuis que j'ai commencé, il y a quatre ans, à tenir le rôle d'empêcheur de scribouiller en rond, rien n'a changé : la pièce est la même (aurai-je le Goncourt cette année ?), et les acteurs jouent, en somme, toujours le même navet".

Voilà. On sait dans quoi on met les pieds, il n'y a plus qu'à savourer. On trouve ici bien sûr quelques descentes en flèche des victimes préférées de l'auteur : Angot, Beigbeder, Zeller, Houellebecq ou BHL mais le champ d'observation est très large et ne s'occupe pas seulement de leurs œuvres mais aussi beaucoup de leurs interventions médiatiques.  Ceci dit, les passages commentés de certains livres, comme ces extraits de Beigbeder ("Relisez, c'est inepte" nous dit Jacob... et effectivement, en relisant...), cette phrase de Lorette Nobécourt ("Attends, inutile de la relire, tu ne la comprendras pas la deuxième fois"... et effectivement, en relisant...) ou cet avis sur Abécédaire mal-pensant de Jean-François Kahn ("Un vrai condensé de pensée tartouille. On se croirait dans l'atelier mots fléchés d'une association de seniors..."... et effectivement, à découvrir les quelques extraits...). Les hommes politiques, qui se piquent parfois de littérature en prennent pour leur grade et c'est à mourir de rire. Mais on trouve également au fil de ces billets, pas mal de matière à réflexion, une façon de retourner les points de vue, de toucher là où ça fait mal et de bousculer le prêt à penser. J'ai beaucoup aimé l'analyse des dédicaces à Didier Jacob par les auteurs qui lui adressent un service de presse. Ou, plus sérieusement, son billet intitulé "Nos espions chez Hitler" relatant les observations des différents écrivains de l'époque qui ont eu l'occasion de séjourner en Allemagne à partir de 1933... instructif et glaçant.

Lire ces plumes tout à la fois provocantes et piquantes, parfois trempées dans la mauvaise fois c'est aussi se laisser aiguillonner, s'ouvrir à d'autres avis ne pas se laisser ramollir par la tiédeur ou le consensus. L'auteur lui-même s'expose, et c'est d'ailleurs l'objet de son dernier chapitre qui recense quelques-unes des amabilités qui lui ont été exprimées en retour de ses chroniques. C'est de bonne guerre.

Laissons-lui le dernier mot, ou plutôt le premier avec l'ouverture de son avant-propos : "La critique est un art mineur, et peut-être pas un art du tout, mais quelle aventure ! C'est une sorte de billard imbécile mis au point par un inventeur fou, avec un nombre infini de bandes où la boule chaque fois rebondit, chaque fois roule, cogne et carambole. Ça se joue à plusieurs, à vingt, à mille, à toute l'histoire littéraire, c'est une auto-tamponneuse en folie dans le beau jardin des Lettres, et vas-y, tape, heurte, achève, assassine ! Excessif ? Bravo ! Injuste ? Nécessairement ! Mais si la critique peut aider à y voir plus clair, à flairer la supercherie pour admirer mieux quand l'auteur est sincère, alors il lui sera beaucoup pardonné. Salubrité publique - oui, il y a de ça."

"La Guerre littéraire" - Critique au bord de la crise de nerf - Didier Jacob - Editions Héloïse d'Ormesson - 216 pages

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A
Bonjour, bravo pour ce très bel article. J'arrive bien après la bataille mais auriez vous des recueils de critiques littéraires justement ( vous dites adorer cela ) à me conseiller car l'exercice me plait beaucoup mais j'ai du mal à véritablement trouver mon bonheur.<br /> Bien à vous
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N
Eh bien je n'en connais pas vraiment d'autres, je lis beaucoup les critiques littéraires dans la presse et j'étais justement très contente de trouver celui-ci. Mais je vais me renseigner :-)
K
Rien à la bibli, halas. Mais je me suis réjouie du Feuilleton de Chevillard, et à une époque j'ai lu les articles de B frank en gros bouquin parues dans ...l'Obs?
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N
Oui, on est dans la même veine, chacun dans son style. J'ai peur d'avoir fait envie avec un truc introuvable... ceci dit son blog existe toujours, il a changé de nom mais les archives sont en ligne si tu veux picorer quelques billets...
C
Merci d'avoir déniché cette pépite dans vos étagères....
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N
J'espère qu'on le trouve encore :-)
D
Un mot ? Il me le faut !!!<br /> Je sens que je vais adorer...
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N
J'espère qu'on le trouve encore, sinon je te le prêterai avec grand plaisir. Je savais que Flaubert en exergue...