Un thé virtuel avec.... Aude Le Corff
J'ai découvert la plume d'Aude Le Corff avec son deuxième roman, L'importun. Et c'est elle qui, à l'époque a initié notre relation virtuelle en me contactant pour me demander si elle pouvait emprunter un extrait de ma chronique pour la quatrième de couverture de l'édition poche. Un peu fière, j'étais. Touchée aussi. Parce que ce livre avait initié chez moi une nouvelle forme de ressenti, plus axé sur l'émotion. Et puis le temps s'est écoulé. Quelques échanges de loin en loin, autour d'un post, un avis sur un film, un livre. Aude Le Corff est discrète, sur les réseaux sociaux aussi. Un peu à contre-courant de l'exercice de représentation auquel se livrent beaucoup d'auteurs. On la devine pudique, sincère. Ses avis sont toujours argumentés, on sent son envie de convaincre honnêtement, sans trop faire mal ni cirer les pompes. Alors la parution de son troisième roman, La mer monte était une belle occasion de la retrouver. Après ma lecture, nous avons décidé d'ajouter la voix à nos conversations jusque-là cantonnées à l'écrit. Pas de rendez-vous dans un bistrot donc, mais une longue conversation téléphonique, un thé pour elle, une orange pressée pour moi... et on n'a pas vraiment vu le temps passer.
Dans ce roman, la temporalité joue un rôle primordial. On passe de 2042, époque à laquelle on fait la connaissance de Lisa, le personnage principal, aux années 1990, le temps de l'adolescence pour Laure, la mère de Lisa. Aude Le Corff m'avoue être passionnée par l'univers scientifique et très sensible à la cause environnementale. Sans être militante, elle se sent concernée et fait de son mieux au quotidien. Pour planter le décor de la société qu'elle imagine en 2042, elle s'est beaucoup documentée et surtout beaucoup amusée à réinventer certains quartiers parisiens. Sans forcément s'inspirer des auteurs de science-fiction qu'elle affectionnait plus jeune, en littérature ou au cinéma et dont elle cite volontiers Robert-Charles Wilson, La Planète des singes ou Star Trek. Son livre n'est pas un roman de genre, plutôt dans la lignée d'un Globalia de Jean-Christophe Rufin. Si on l'interroge sur ses influences, Aude va plus volontiers du côté des écrivains qui mêlent le réel et l'étrange. En vrac : La musique du hasard de Paul Auster, Le mur invisible de Marlen Haushofer, Mr Gwyn d'Alessandro Baricco ou encore Roland Topor.
Mais un décor ne fait pas un roman. Seule, l'étude des rapports humains, de la psychologie qui les initie et les influence permet de construire une trame narrative captivante et convaincante. Pour cela, Aude explique avoir eu l'impression d'écrire deux romans, celui de Laure dans les années 90 et celui de Lisa avec une autre voix. A l'aide de matériaux différents, beaucoup de doc pour le futur et des souvenirs pour le passé. On imagine le travail gigantesque ensuite pour donner le liant nécessaire à une narration fluide et pertinente. Pour Aude, il était important de montrer le parallèle entre les comportements des humains envers leurs semblables et envers la planète. Et de donner à cette thématique de la transmission, la double dimension qui permet au lecteur de se projeter, grâce à la sphère intime et de contempler aussi les conséquences de notre inaction envers l'environnement. Les comportements toxiques s'exercent à tous les niveaux. L'ambivalence aussi.
La littérature peut contribuer à ouvrir les yeux. Aude n'a pas hésité à semer des livres papier, comble de l'archaïsme, dans son décor de 2042, des livres dont Lisa ne peut se séparer quand, autour d'elle, on lit directement via les lentilles oculaires qui ont remplacé la plupart des écrans. Preuve qu'elle veut croire en une survivance de l'objet, malgré les avancées technologiques qui poussent dans le sens de sa disparition. C'est peut-être son attachement si fort aux livres qui la pousse à se renouveler à chaque parution. L'importun rompait déjà délibérément avec le côté "feel good" de son premier roman dont le bon accueil aurait pu la convaincre de continuer à exploiter le filon. Avec La mer monte, elle se remet une fois encore en question (même si, je la rassure, on retrouve la sensibilité et la finesse aimés dans L'importun), prend des risques, ose. Touchée que son éditrice de toujours la suive dans cette voie, après avoir franchi l'étape de son (unique) premier lecteur, son mari, un grand lecteur lui aussi.
Il y a chez Aude Le Corff une douceur perceptible dans la voix, une fragilité devant l'entrée dans le monde de ce nouveau bébé, quatre ans après le précédent. Une appréhension face à l'encombrement des librairies, à la densité des programmes de parution, comme on imagine que nombre d'auteurs en connaissent. Mais peut-être amplifiée par sa discrétion. Voilà déjà longtemps qu'elle a quitté la fureur parisienne pour les rythmes de la campagne nantaise, plus doux. Pendant que d'autres postent des couchers de soleil sur Instagram, elle regarde les saisons changer les couleurs de son jardin. C'est donc de loin qu'elle surveille les premiers échos des rencontres entre ses mots et les lecteurs. En attendant les échanges, les vrais, qui ne manqueront pas de se mettre en place.
On n'a vraiment pas vu le temps passer et c'est vrai qu'on aimerait bien prolonger ou renouveler en face à face, un jour, autour d'une vraie théière. C'est si précieux ce genre d'échange. Passer derrière la page blanche, traverser le livre pour toucher à ce qui irrigue la plume. Merci Aude, d'avoir un tout petit peu levé le voile.
=> Lire également ma chronique de La mer monte (avant de filer vous le procurer)