Les fantômes du vieux pays - Nathan Hill
Il n'y a pas à dire : les primo-romanciers américains sont souvent sacrément ambitieux et ingénieux. Et puis ils ont de l'imagination et le goût de raconter des histoires. Ils n'hésitent pas à noircir des pages pour explorer en profondeur l'état de leur pays, sonder les failles, expliquer les moments clé sans jamais perdre de vue le plaisir du lecteur qui aspire à être si possible surpris et diverti. Le roman de Nathan Hill m'a beaucoup fait penser à l'un de mes coups de cœur qui date de quelques années, La physique des catastrophes de Marisha Pessl (Gallimard / Folio). Le volume, la mécanique narrative... il y a beaucoup de similitudes et le lecteur se laisse volontiers embarquer, à la merci de l'auteur qui lui propose d'emprunter un chemin qui n'est jamais le plus court, mais certainement le plus riche en sensations.
"Les choses que tu aimes le plus sont celles qui un jour te feront le plus de mal", cette phrase, Samuel Anderson a une bonne raison de s'en souvenir. C'est une des dernières prononcées par sa mère avant de quitter brusquement la maison et de les abandonner son père et lui alors qu'il n'avait que 11 ans. Désormais professeur de littérature à l'université, imaginez un peu sa surprise d'apprendre que cette mère dont il est sans nouvelles depuis près de 25 ans est en train de défrayer la chronique après avoir, en pleine campagne électorale agressé l'un des candidats en pleine rue. Pour couronner le tout, son éditeur qui attend depuis 10 ans qu'il écrive le grand roman pour lequel il lui a versé un confortable à-valoir le menace d'un procès et Samuel, pour gagner du temps lui propose d'écrire l'histoire de sa mère, coup marketing qu'un éditeur digne de ce nom ne peut qu'accepter. Voilà donc Samuel Anderson confronté à cette mère fuyarde et mutique, et obligé de mener l'enquête pour tenter d'élucider, dans son passé ce qui l'a menée à abandonner sa famille. Est-ce en rapport avec la Norvège, patrie de son grand-père qui semble lui-aussi cacher un secret ? Ou bien avec le mois d'août 1968 qui semble avoir orienté le destin de Faye ?
Il y a de quoi se perdre dans ce roman qui nous balade de 2011 à 1968, passant par 1988 et ce moment charnière de l'abandon au seuil de l'enfance. Pour l'auteur c'est aussi l'occasion d'ausculter trois époques à travers ce destin contrarié d'une femme qui voit ses rêves se confronter à la réalité. Un voyage au cœur des poids qui encombrent et empêchent. Des secrets qui plombent. Qui sont aussi autant de prétextes pour éviter ses propres choix et préférer des échappatoires telles que la fuite, le refus d'obstacle ou même l'évasion dans les jeux vidéo. Le virtuel pour mieux éviter le réel. Je n'ai pas pu m'empêcher de trouver certains passages trop longs, de me demander ce que certains développements apportaient vraiment à l'ensemble (notamment du côté du personnage de Pwnage et des jeux vidéo...), de penser que finalement, ce premier roman avait des défauts...ce qui ne rend son auteur que plus humain. Parce que globalement, c'est très addictif et j'ai beaucoup aimé les quelques réflexions sur la façon dont chacun est amené à se faire sa propre idée du monde à travers les prismes qu'on lui propose, à chaque époque. Mais il me reste une impression de fouillis et de "too much" qui n'a certes pas vraiment nui à ma lecture mais n'a pas conduit non plus à l'éblouissement annoncé par les nombreux éloges qui ont accompagné la parution de ce roman, révélation étrangère 2017 du magazine Lire.
Ceci dit, on approche de la période estivale et ce beau morceau, dans sa version poche est un candidat idéal dans la catégorie pavé de l'été avec la garantie de ne pas s'ennuyer.
"Les fantômes du vieux pays" - Nathan Hill - Folio / Gallimard - 956 pages (traduit de l'américain par Mathilde Bach)