Le bal des folles - Victoria Mas
Ce premier roman est une très jolie surprise et il mérite tout à fait la sympathie qui accompagne sa parution depuis la fin août. Il possède effectivement beaucoup d'ingrédients qui en font une lecture agréable et instructive : le contexte historique, la mise en lumière de l'empêchement des femmes à cette époque, le coup de projecteur sur Charcot et la Salpêtrière. Victoria Mas parvient à brosser le portrait d'une époque par l'intermédiaire de quelques figures de femmes, attachantes, volontaires, touchantes.
"... sans leur initiative (les hommes), la Salpêtrière ne serait sans doute pas aussi peuplée. Certes, certaines femmes en ont déjà amené d'autres - des belles-mères plus que des mères, parfois des tantes. Mais la majorité des aliénées le furent par les hommes, ceux dont elles portaient le nom. C'est bien le sort le plus malheureux : sans mari, sans père, plus aucun soutien n'existe - plus aucune considération n'est accordée à son existence".
C'est bien là tout le nœud de l'intrigue. Ceux qui ont lu La salle de bal, d'Anna Hope dont l'histoire se déroule plus tard, au début du 20ème siècle ne seront pas dépaysés : il fut un temps où une femme était rapidement cataloguée comme hystérique et tout aussi facilement enfermée. C'est ce que Victoria Mas met parfaitement en scène notamment à travers le personnage d'Eugénie Cléry, jeune fille issue de la bourgeoisie, éprise de liberté et qui rêve de découvrir le monde tandis que sa famille ne pense qu'à lui trouver un bon parti. Pour aggraver son cas, voilà qu'en plus elle a le don de voir et d'entendre les esprits des morts. Autant dire que ses rêves s'arrêtent net dans l'enceinte de la Salpêtrière devenu l'Hôpital des aliénées sous la responsabilité du Dr Charcot dont la célébrité est entretenue par les consultations publiques qu'il met en scène. Tout un petit monde gravite ici, des aliénées pas toujours si folles, des internes aux regards concupiscents, des infirmières oscillant entre bienveillance et désintérêt. Parmi elles, Geneviève qui porte depuis des années le deuil de sa jeune sœur et dont les certitudes cartésiennes vont bientôt être ébranlées au contact d'Eugénie, tandis que les préparatifs battent leur plein pour le bal de la mi-carême, qui mêle chaque année les aliénées et le Tout-Paris.
La violence de la société à l'égard des femmes éclate à presque toutes les pages, que ce soit dans ce qui arrive à Eugénie, rayée en quelques heures de la vie de sa famille et jetée aux oubliettes sans que plus personne ne se préoccupe de son sort, ou dans la façon dont sera plus tard traitée Geneviève malgré ses vingt ans d'expérience dans l'hôpital et sa connaissance des patientes. Pas question de penser par elle-même, de s'affranchir de quelque code que ce soit, d'être un tant soit peu différente de que l'on attend d'elle. Ou pire, d'émettre un avis. On prend conscience avec soulagement des progrès accomplis depuis...
Victoria Mas met en place une narration efficace, tendue qui garde parfaitement l'intérêt du lecteur. Personnellement j'ai déjà croisé un certain nombre d'éléments de contexte dans d'autres œuvres, que ce soit sur le thème des aliénées ou sur celui du spiritisme, mais j'ai l'impression que l'on se fait néanmoins une bonne idée des enjeux et de l'atmosphère de cet hôpital et de l'époque, l'idée n'étant pas non plus d'écrire une thèse. La fin est peut-être un peu rapide, mais enfin là, on chipote.
Un premier roman qui mérite vraiment le coup d’œil. Et même des deux yeux.
"Le bal des folles" - Victoria Mas - Albin Michel - 252 pages