Dévorer le ciel - Paolo Giordano
"On n'en finit jamais de connaître les gens (...) On n'en finit jamais, Teresa et parfois il vaudrait mieux ne jamais commencer".
C'est un peu intimidant les retrouvailles avec un auteur, dix ans après. Surtout quand la première rencontre - La solitude des nombres premiers - s'est avérée si bouleversante. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas lu ses deux livres suivant, je sais par contre que je suis ravie d'avoir reçu celui-ci dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE. Je me suis immergée dans cette histoire d'abord avec curiosité et envie, puis, très vite, avec un plaisir grandissant, celui offert par les fresques à la fois denses et subtiles. C'est un très beau roman que nous livre Paolo Giordano, sur l'amour, sur l'amitié, sur la fidélité à ses idéaux avec en toile de fond la question de l'engagement politique et écologique.
Teresa passe ses étés dans les Pouilles, chez sa grand-mère paternelle, souvent accompagnée par son père tandis que sa mère préfère sa vie de citadine turinoise. Là-bas, elle fait la connaissance de trois garçons Nicola, Tommaso et Bern qui vivent à côté, comme trois frères dans une ferme auprès de Cesare, le père de Nicola. Leur mode de vie les distingue de leurs voisins, leur proximité avec la nature et une façon de rester à l'écart de la société. Teresa les retrouve chaque été avec bonheur, et peu à peu, son lien amical avec Bern évolue vers une liaison amoureuse. Jusqu'au jour où la jeune fille apprend de la bouche de sa grand-mère le départ de Bern et les événements qui y ont conduit. Bouleversée, Teresa tente de reprendre le cours de sa vie. Mais les trois hommes sont définitivement liés à son destin et ce qu'elle en a perçu lors des quelques semaines où elle les a côtoyés n'est qu'une infime parcelle de leur existence. Entre elle et Bern, ce n'est que le début.
La construction de ce roman est magistrale. Et tout d'abord cette première partie où tout se noue, et que l'auteur nous donne à voir comme les deux faces d'une même feuille : au recto, ce que Teresa perçoit et au verso, ce qui s'est passé sans elle. Les deux parties suivantes vont permettre d'explorer les vies et les vérités des uns et des autres, entre jalousies, aspirations, rivalités. Entre ombres et lumières. L'auteur joue avec les passions, l'aveuglement, le poids des idéaux et celui des désillusions. Il prend son temps, s'attarde sur les décors, celui des Pouilles d'abord, rural et aride, lieu d'expérimentation pour ces précurseurs en permaculture, un peu plus tard celui de l'Islande, tout aussi désertique et minéral, terrain d'une quête un peu désespérée. Il prend son temps pour ancrer et déployer son propos, celui qui nous ramène à la question fondamentale, celle de la vie qui "choisit sans choisir, elle germe à un endroit, pas à un autre, au hasard" et de son sens. Mais jusqu'où aller pour la préserver ?
Si l'histoire d'amour entre Teresa et Bern revêt un caractère très universel, le contexte politique et militant l'ancre fortement dans l'actualité et lui donne une dimension plus dramatique par l'urgence qu'il implique. Pourtant, ce qui émeut au final, c'est bien ce lien, cette fidélité inconditionnelle au premier regard échangé, cet attachement indéfectible à la vérité des premiers sentiments. Et ça, c'est d'une beauté à fendre le cœur.
"Dévorer le ciel" - Paolo Giordano - Seuil - 458 pages (traduit de l'italien par Nathalie Bauer)