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Ceux qui partent - Jeanne Benameur

10 Décembre 2019 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

C'est le genre de livre dont tu as envie de noter presque toutes les phrases, de les recopier, de les partager. C'est le genre de plume guidée par les sentiments de ceux qui observent et s'interrogent, tentent de ressentir ce que "l'autre" peut ressentir malgré leurs différences. C'est le genre de lecture dont tu savoures les mots, dont tu mesures l'exceptionnelle empathie de l'auteure pour ceux qui partent, sont partis, partiront, par nécessité ou par choix ; ce lancinant questionnement qui tente de cerner, sous les chairs, les peurs, les résolutions, les envies, les espoirs face à ce saut dans l'inconnu. C'est ce genre de lecture qui te rappelle ce que peut la littérature.

"Est-ce que toute sa vie désormais sera soumise aux deux envies contraires ? C'est cela alors "émigrer". On n'est plus jamais vraiment un à l'intérieur de soi".

Nombreux sont les écrivains intrigués, inspirés par Ellis Island, ce tout petit coin de terre qui a vu passer tant d'exilés dont les photos ornent encore les murs. Jeanne Benameur choisit à son tour de poser son regard et sa sensibilité sur ce lieu chargé d'histoires et d'émotions en tous genres. Et cela commence par une photo, un face à face entre un photographe amateur, le jeune Andrew Jonsson et ceux qu'il a choisi d'immortaliser, Donato et Emilia Scarpa, père et fille en provenance d'Italie. Nous sommes en 1910, à New York, on commence à resserrer les mailles du filet après une période d'accueil massif d'émigrants en provenance des quatre coins d'Europe, certains pensent que cela fait trop, qu'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde... Donato a suivi l'avis et l'envie de sa fille, sa soif de nouveauté. Ils ne sont pas pauvres, ils sont comédiens, lettrés, ils ont choisi de partir, c'est ce qui les distingue de la plupart de leurs compagnons de voyage qui viennent ici chercher une vie meilleure ou fuient les persécutions. Si Andrew s'intéresse aux individus qui débarquent à Ellis Island, c'est parce que son père est lui-même issu d'une famille qui émigra depuis l'Islande. Inconsciemment, il cherche dans cet endroit et sur les visages de ceux qu'il photographie un écho au manque qu'il ressent au plus profond de lui.

"Que sommes-nous devenus pour que d'autres humains aient le pouvoir de nous ouvrir un pays ou de nous renvoyer là où il n'y a plus de "chez nous" ? C'est quoi une frontière ? La seule frontière, fragile, palpitante, c'est notre propre peau".

L'unité de temps est très courte : une nuit. Une nuit passée sur l'île pour ceux que l'on retient un peu avant de les laisser débarquer le lendemain. Emilia, sa soif de liberté et de découverte, sa sensibilité artistique. Donato, le souvenir si présent et contraignant de sa défunte femme, le volume de l'Enéide qui ne le quitte pas. Esther, survivante à jamais marquée par la disparition de sa famille dans des conditions atroces, ou encore Gabor dont le violon envoûte, et que les yeux d'Emilia subjuguent. Ils ont des projets, on les attend, ou pas. Une nuit également dans les ruelles ou les avenues de Manhattan, dans la chaleur des foyers cossus où Andrew tente de trouver lui aussi sa vérité. Une nuit, c'est court, et c'est très long quand se jouent les destins, se libèrent les corps et les âmes.

Comme d'habitude, Jeanne Benameur fouille, avec délicatesse, finesse et précision ce qui anime chacun, ce qui l'ancre ou au contraire contribue à l'émanciper pour lui permettre de (re)vivre. Elle explore ces voyages forcés ou voulus, contraints ou souhaités qui ont présidé aux destinées de l'humanité, depuis la nuit des temps et qui trouvent un écho si dramatique encore aujourd'hui. Elle tisse lentement les fils qui relient ceux de l'île à ceux d'en face et entraîne son lecteur dans une fresque foisonnante où les corps s'éveillent et les esprits se libèrent. Il est ici question de l'autre, de l'ailleurs et des multiples façons de les apprivoiser, de les comprendre, de les aimer. Les phrases simples et pourtant si chargées en symboles résonnent profondément, s'accrochent à l'esprit, au cœur et au corps. Un moment de lecture très fort, et si important.

"Il y a dans le monde des moments arrachés à tout, des îles".

"Ceux qui partent" - Jeanne Benameur - Actes Sud - 330 pages

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F
<3 <3<br /> <br /> Et je viens de m'offrir "Dans mon pays d'incertitude" de Jeanne :-)
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N
Bonne lecture ! (j'en ai encore pas mal à découvrir pour ma part :-) )
M
Je compte bien le lire et je l'ai déjà noté d'ailleurs dans mon petit carnet pour ne pas oublier de le faire. C'est un auteur que j'apprécie. Ses livres jeunesse ne m'ont jamais déçu... et j'avais beaucoup aimé "Otages intimes" que j'ai d'ailleurs présenté sur mon blog, mais depuis je n'ai plus rien lu. Merci pour cette présentation
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N
J'ai tellement aimé Otages intimes ! Je ne connais pas ses livres jeunesse mais sa sensibilité et sa plume me plaisent vraiment.
K
Le sujet m'intéresse, mais je dois choisir le moment... (j'ai parfois du mal avec l’écriture)
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N
Oui, je peux comprendre. J'ai eu du mal avec son précédent, L'enfant qui, alors que Otages intimes m'avait subjuguée...
M
Très belle chronique pour un roman que j'ai aussi adoré ????
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N
Merci ! Toujours peur de ne pas être à la hauteur d'un tel texte...
D
N'étant pas sensible à la plume de cette auteure, je passe...
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N
Oh c'est vrai ? Dommage...
K
Un texte sublime comme beaucoup de textes de Jeanne Benameur. Tu as raison, on a envie de tout noter.
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N
Je n'avais lu que Otages intimes auparavant et ce roman m'avait subjuguée !