Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
motspourmots.fr

Suzanne - Frédéric Pommier

20 Janvier 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

"Suzanne a quatre-vingt-quinze ans mais prétend n'en avoir que quarante dans sa tête. Ce n'est pas toujours vrai. Parfois, elle en a dix."

Comme de nombreux auditeurs de France Inter, je me souviens avoir été émue aux larmes lorsque le journaliste Frédéric Pommier avait fait de Suzanne, sa grand-mère, le sujet de sa chronique du jour. Un texte qui avait par la suite - ou peut-être avant - circulé sur Facebook. Une prise de parole essentielle, très juste et inédite dans sa tonalité. Car il est vrai que la vieillesse et sa prise en charge sont des sujets que l'on préfère éviter, faire semblant d'ignorer en espérant peut-être y échapper soi-même. Le discours de Frédéric Pommier était exempt de tout jugement et ne visait pas à désigner quelque coupable face au désarroi de Suzanne et des membres de sa famille confrontés à la réalité de certains Ehpad. A ce moment, il m'avait particulièrement touchée car il mettait des mots sur une situation vécue et difficilement supportée. Je pressentais que le roman né à la suite de cette chronique serait tout aussi fort. Je ne me suis pas trompée.

Suzanne, avant d'être une vieille dame presque centenaire fut un bébé, une enfant curieuse et choyée par ses grands-parents, une jeune fille pendant la seconde guerre mondiale, une femme amoureuse, la mère de quatre filles. Elle dut faire face au divorce de ses parents, à l'éloignement forcé de son père pour ne pas froisser une mère en colère. Elle dut traverser des périodes de deuil, injustes et douloureux. Elle fut une très bonne joueuse de tennis et de bridge, aimait par-dessus tout conduire ses voitures à toute allure et se sentir libre. Une vie bien remplie, une farouche volonté non pas d'indépendance à tout prix mais d'autonomie destinée à satisfaire son insatiable curiosité. Apprendre une nouvelle chose par jour et "sourire quand même", les deux piliers de sa posture, toujours dirigée vers l'avant. Mais Suzanne a désormais quatre-vingt-quinze ans, elle est devenue "dépendante" et a dû se résoudre à vivre dans un Ehpad. Si son corps la trahit, sa tête enregistre parfaitement les petites humiliations quotidiennes, les actes de maltraitance même involontaires, et surtout, surtout, cette impression de ne plus être respectée comme un individu à part entière.

C'est ce que Frédéric Pommier réussit parfaitement à illustrer en entrecoupant le récit de la vie de Suzanne par des scènes du présent, vécues au sein de l'établissement. Le contraste est saisissant et vaut certainement mieux que de grands discours. Pourtant, là encore, l'auteur n'accuse personne et surtout pas ceux qui défilent dans la chambre de Suzanne, chronomètre en mains pour la laver, l'habiller, lui apporter son petit-déjeuner... Suzanne les observe, s'étonne, s'attriste à la fois pour elle et pour eux. Pendant ce temps, elle maigrit. Parce que, assure-t-elle "même pendant la guerre, ce qu'elle mangeait était meilleur".

Il y a beaucoup d'émotion dans ce livre. D'abord la sympathie que l'on éprouve pour cette héroïne comme il y en a tant, à travers les grandes étapes de son existence. Ensuite, la tristesse face à la négation de l'individu dans ces structures qui semblent bien mal équipées pour faire face aux besoins des résidents : des soins, certes mais surtout de l'attention qui leur est refusée faute de temps. Les défis auxquels la société doit faire face avec cette problématique du grand âge sont énormes. Pourtant, après l'émotion, quelles actions ? Frédéric Pommier termine son ouvrage sur une petite note positive mais si certains arbres cachent la forêt, celle-ci n'en est pas moins une réalité. La vieillesse et la fin de vie font partie de la vie et il serait bon d'être traité comme un être vivant et important jusqu'à la fin, avec respect et bienveillance. On en est très loin.

Un récit poignant, plein de tendresse et d'empathie.

"Suzanne" - Frédéric Pommier - Pocket (Equateurs) - 208 pages

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Ayant longtemps travaillé dans le milieu médico-social (en EHPAD, foyer logement, association d'aide à domicile,...) le sujet me touche particulièrement. Je pense le lire bientôt.
Répondre
N
Eh bien ta lecture et ton retour m'intéressent particulièrement...
D
Je crois que le sujet m'angoisse un peu... Je ne sais pas si j'aurais le courage de lire un tel livre...
Répondre
N
Pour te rassurer, l'auteur ne cherche pas à choquer ou à en rajouter. Son propos est centrè sur l'individu à travers le portrait de Suzanne. Le livre est une réussite pour ce point de vue équilibré entre regard du journaliste et sensibilité du petit fils.
Z
Ma mère de 98 ans est dans un établissement depuis 2 ans. C'est elle qui a choisi et nous avons pu avoir une place où elle désirait aller. Elle ne semble pas maltraitée. Les repas sont cuisinés par un cuisinier sur place. Son logement n'est pas une chambre mais un studio, alors, elle a de la place. Elle ne regrette pas d'avoir quitté son appartement
Répondre
N
Oui il y a heureusement de nombreux cas qui se passent bien et c'est toute la justesse de ce livre car l'auteur se garde bien de tomber dans les extrêmes ou de généraliser. Il a le regard d'un journaliste doublé de celui d'un petit-fils, ainsi il parvient à toucher sans perdre le sens de l'équilibre ni des questions qu'il souhaite soulever.
A
cela m'étonnerait que je le lise , car j'ai connu cette souffrance avec ma mère il y a longtemps .<br /> il jne faut pas se leurrer , cette inhumaine fin de vie ne sera peut être jamais changée si nous ne changeons pas notre façon ce vivre , qui repose essentiellement sur la valeur de l'argent et de son confort personnel ..Regardez comment sont respectés les anciens dans des sociétés plus primitives africaines ou autres . L'ancien est respecté et surtout reste au sein de sa famille . Il ne connait pas la solitude , qui est la pire chose qui arrive à une personne très âgée
Répondre
N
Le vécu, c'est aussi ce qui m'avait fait hésiter au moment de sa parution initiale. Franchement, je ne regrette pas un instant d'avoir choisi de le lire, il m'a fait me sentir moins seule en posant des mots noir sur blanc sur des ressentis parfois violents mais pas toujours faciles à exprimer. Et il reste dans une approche très soft, bienveillante, non vindicative.
F
Je l'ai lu l'année passée dans le cadre du Prix Elle.. je l'avais trouvé très touchant et il m'avait aussi mis un peu en colère face à cette solitude des ainés dont je n'avais pas spécialement conscience (j'ai la chance que mes grands-mères soient encore très autonomes dans leurs maisons et accompagnées)..
Répondre
N
Je crois qu'on ne prend conscience de tout cela uniquement lorsqu'on y est directement confronté. Et c'est déjà trop tard, on subit de plein fouet. C'est un énorme défi qui n'a pourtant pas l'air de passionner les foules et ce livre a le mérité de ne pas s'inscrire dans la vindicte mais au contraire, de donner à comprendre et à ressentir la réalité.
K
Je me souviens de mon émotion à l'écoute de cette chronique...
Répondre
N
Oui, beaucoup d'émotion, de partages sur les réseaux... mais le problème est malheureusement plus que jamais d'actualité...
K
Un livre que je n'étais pas prête à lire parce que je connais bien le problème, allant régulièrement dans un Ehpad et détestant la manière dont on traite les résidents. A chaque visite, je ressors avec l'envie de pleurer. Mais il n'est pas dit que je ne le lirai jamais... La maltraitance, commence déjà quand on laisse une personne seule pendant deux heures d'affilée. "J'aime quand tu es là, j'ai l'impression d'être libre" m'a dit un jour la personne que je vais voir, qui en a marre qu'on l'oblige à faire des choses précises quand on le décide pour lui... Et puis qu'on le laisse seul pendant des heures...
Répondre
N
Ce texte dit merveilleusement tout ça et il fait du bien. J'avais hésité aussi et j'ai profité de l'opportune sortie en poche. Je ne regrette pas, c'est un texte important.